Tunisie : Des experts critiquent l'abstentionnisme des députés

Publié le Jeudi 09 Janvier 2014 à 17:52
Chawki Gaddès, expert en droit public  et en sciences politiques est revenue ce matin sur les consensus et les propositions d’amendement de la constitution, dans le cadre de la deuxième journée  Abdelfattah Amor sous le thème «La constitution entre discussion et adoption».

225 propositions d’articles ont été formulées de la part des élus, et 31 consensus ont été relevés par Gaddes aux dates du 2 et 3 janvier courant. "Nous avons aujourd’hui 37 consensus et 225 propositions. Et ce chiffre tend à augmenter. Mais l’importance en nombre, mais ce n’est pas l’importance de vote et d’adoption des articles, car nous verrons que 37 passeront tous, et presque tous les 225 seront refusés", a-t-il expliqué.

Sur les 165 articles, dans 80% des cas, il y a eu plus de 2 propositions pour chaque article. « Il existe un cas, où il y a eu 11 propositions pour un article. Mais c’est exceptionnel", a-t-il dit.

Azad Badi, Fathel Moussa et Samia Abbou sont les députés qui ont fait le plus de propositions d’articles, avec respectivement, 14, 13 et 11 propositions, d’après les statistiques présentées par Gaddès. D’autres députés n’ont, en revanche, présenté aucune proposition. "Nous en sortons avec le constat qu’il existe des députés qui s’étaient préparés pour faire plus de propositions que d’autres. Et les noms sont connus, on assiste à leurs interventions ces jours-ci à l’Assemblée Nationale Constituante", a-t-il commenté.

La distribution des propositions selon les partis politiques est telle que le parti Ennahdha a présenté 108 propositions, soit un peu plus d’une proposition par député. Ettakatol et Wafa, ont proposé chacun 45 propositions, Al Massar, 42 propositions et le CPR, 37 propositions.

Concernant la présence lors des séances de vote pour les articles, Gaddès explique que le pic de présence est à 194 députés, alors que l’ANC compte 217 députés au total. Jusqu’à ce jour, 45 articles ont été votés, et au fil des séances, il est arrivé que seuls, 149 députés soient présents. « Cette absence, est à mon sens, inacceptable »,a dit Gaddès.

Au sujet des abstentions, l’expert a déclaré que le taux d’abstentionnisme est important, et qu’il devrait être interdit au sein de l’ANC lors du vote. "Si j’ai élu un député c’est pour qu’il donne un avis sur les questions. Que veut-on dire par l’abstentionnisme ? Cela n’a aucun sens", a-t-il dit. Jusqu’à 43 cas d’abstentionnismes ont été enregistrés lors des séances de vote.

Salwa Hamrouni, professeur de droit public, a pour sa part évoqué la question du préambule et des principes généraux. «D’abord tous les experts du domaine ont constaté plusieurs failles au niveau de la constitution tout au long de son élaboration, aussi bien sur le fond que sur la forme…», a-t-elle dit.

Lors du vote pour la constitution, même les sujets qui semblaient être évidents, ont été abordés et discutés. "Il y a même ceux qui ont voulu apporter un autre nom à la constitution de la République tunisienne…Le deuxième vote a concerné "Al Basmala" qui a été ajoutée au début du préambule. 188 députés ont voté pour cet ajout, et 3 se sont abstenus. Or à la fin du préambule on dit « Au nom du peuple », donc on commence au nom de Dieu, et on termine le préambule en introduction à la constitution, au nom du peuple. Ce qui représente une contradiction", a-t-elle relevé.

Salwa Hamrouni, estime que tout le préambule représente "un voyage de recherche d’identité", arguant que tout son contenu converge vers la recherche d’identité. "Tous les éléments qui ont suscité des divergences ou des différends sont liés d’une manière ou une autre à l’identité", a-t-elle dit.

Au sein du préambule, elle déplore le maintien de l’expression : «conformément aux droits de l’Homme universels suprêmes », dans le but de hiérarchiser les droits de l’Homme, et ce en ajoutant le terme "suprêmes".

«Ceci pose un problème, quels sont les droits de l’Homme, suprêmes, et quels sont ceux qui ne le sont pas ? Et qui décide de la suprématie de certains droits ?", s’est-elle interrogée.  Elle a ajouté qu’il était plus sensé de s’en tenir qu’à un seul changement au sein du préambule, qui est selon elle, celui concernant l’attachement du peuple aux préceptes de l’Islam. « Mais plusieurs propositions ont été formulées. 17 demandes d’amendement. Certaines ont été retirées, et d’autres refusées. Comme celle de soutenir notre appartenance à l’espace méditerranéen. Cet amendement avait besoin de 109 voix pour passer, seulement 105 députés ont voté pour cet amendement. Et là je reviens pour dire que ceux qui se sont abstenus ne devraient pas avoir le droit de le faire, bien que la question peut sembler plus complexe que cela », a dit la professeure de droit.

Malgré le consensus autour de l’article 1er   de la constitution portant sur l’identité de la république tunisienne, plusieurs propositions d’amendement ont été formulées, dont une, évoquant le Coran et la Sunna comme étant le texte de référence pour la législation tunisienne. 47 députés de l’ANC ont voté pour cet amendement, 70 ont voté contre, et 54 se sont abstenus. « 22 parmi les députés d’Ennahdha ont voté en faveur de cette proposition, 17 ont voté contre, et 39 se sont abstenus…Dans le groupe démocratique également, il existe des députés qui se sont abstenus concernant cette question », a-t-elle affirmé, pour démontrer que le consensus n’a pas eu lieu de manière absolue, mais de manière plus nuancée ou relative, et ce en fonction du sujet débattu.

Chiraz Kefi