Tunisie : Crimes électoraux, la nécessite de changer la loi

Publié le Mercredi 04 Mai 2016 à 17:08
Vue de la conférenceL’Instance supérieure indépendance des Elections (ISIE) a organisé aujourd’hui une journée sur les crimes électoraux et leur impact sur les résultats des élections, à laquelle ont pris part plusieurs magistrats et membres de l’ISIE.

Le président de l’Instance, Chafik Sarsar, a indiqué ce matin que cette rencontre était l’occasion d’échanger les expériences et de faire ressortir des recommandations pour l’élaboration du cadre légal ou pour l’application sur le terrain. Il a rapporté un exemple auquel s’est heurtée l’ISIE durant la dernière campagne présidentielle.

"Il y a eu soudain un grand dépassement, qui consistait en un affichage urbain aberrant. C’était le jour même où nous avions accueilli les deux derniers candidats à la présidentielle au média centre de l’ISIE dans le but d’apaiser la tension. L’affichage urbain était l’acte d’un publicitaire qui attaquait l’un des candidats, sans qu’aucun des deux ne soit impliqué", a-t-il expliqué. L’ISIE a alors envoyé un courrier au ministre de la Justice lui demandant d’intervenir en urgence sur tout le territoire afin de sévir.  
 
«Dans certaines régions les affiches ont été enlevées, mais à Tunis, le procureur de la République a dit qu’il fallait attendre le temps que l’ISIE lui fournisse un document écrit. Nous lui avons alors répondu qu’une copie du fax envoyé pouvait faire office de demande officielle. C’est là que nous constatons qu’il existe encore de vieux reflexes », a déclaré le président de l’ISIE appelant à ce que les reflexes de la justice et de l’ISIE soient réexaminés.
 
Hedi Kediri, premier juge à la Cour d’Appel, a pour sa part indiqué que même les associations doivent passer par des élections pour asseoir leur légitimité et avoir droit à des financements. Moez Ben Fraj, président de Chambre au tribunal de première instance de Tunis, a parlé de comment la justice aborde les crimes commis lors des campagnes électorales.

Il a rappelé que la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 stipulait que l’élection des institutions de tutelle était la base de la démocratie. Une base reprise par plusieurs textes de loi, et notamment au sein de la constitution tunisienne. Toutefois le crime électoral n’a pas été défini dans la loi électorale de 2014, ni les peines adéquates en cas de crimes de ce genre. La loi demeure approximative et manque de précision, selon les juges. 
 
Le juge a expliqué que la justice avait recours à la jurisprudence dans les affaires de crimes électoraux. Il a déclaré que pour tous les crimes pénaux il a été prévu un pôle judiciaire spécialisé à l’instar des crimes financiers et autres crimes terroristes, mais pas de pôle pour les crimes électoraux, appelant les autorités à y remédier. 
 
«J’estime qu’il n’existe pas d’une vraie volonté de réformer ce domaine et puis la justice tunisienne traite les crimes électoraux comme tout autre crime, sans lui consacrer le moindre intérêt particulier et ce en l’absence de textes sur ce type de crimes, contrairement à ce qu’on trouve dans le milieu de la finance », a-t-il dit. 
 
La loi manque de dispositions particulières, d’après lui, notamment pour incriminer certains dépassements : « Nous entendons et lisons dans les médias qu’il y a eu certains dépassements ici et là, des affiches déchirées, de l’argent politique…et le peuple s’attend à ce que la justice réagisse, alors que suivant cette loi, ce n’est pas possible », a souligné le juge. 

Cette loi cadre des élections est vague, selon Moez Ben Fraj. « La formulation du texte de loi est très mauvaise, et j’appelle le législateur à donner de l’importance aux crimes et à être plus précis », a-t-il dit, en attirant l’attention sur la gravité du vide que laisse la loi face aux abus constatés. «Agir en dehors de la loi et ajouter des choses qui ne sont pas prévues dans la loi représente un grand problème surtout s’il s’agit des droits et libertés d’autrui », a-t-il dit. 

Il a également critiqué le fait que des affaires de crimes électoraux soient à la fois traduits devant les tribunaux administratifs et judicaires. «Cette dispersion n’a pas de sens. Donnez ces affaires aux tribunaux administratifs et qu’on en finisse », a-t-il proposé.
 
La loi électorale aurait besoin selon lui d’un amendement. « Premièrement à cause de l’incompatibilité des peines avec les forfaits commis. Falsifier les élections est contraire à la volonté du peuple. Alors que quelqu’un qui falsifie un document écope de 10 ans, celui qui falsifie des élections écope de pas grand-chose », a-t-il souligné.

Chiraz Kefi