Tunisie, "Chedly Ayari sera à la merci des caprices du gouvernement"

Publié le Lundi 30 Juillet 2012 à 12:00
Le recours à la planche à billets sera-t-il inévitable en Tunisie ?La démission de Houcine Dimassi, ministre des Finances  et les raisons qu’il a invoquées pour son retrait du gouvernement, suscitent l’inquiétude quant aux risques qui guettent la stabilité financière et monétaire de la Tunisie, et son économie en général. Gnet a demandé l’avis de Mongi Mokadem, professeur de sciences économiques à la faculté des sciences économiques de Tunis, au sujet des mises en garde lancées par le ministre démissionnaire notamment  pour ce qui est des retombées financières de la loi d’amnistie générale sur les équilibres budgétaires du pays, et du remplacement du gouverneur de la banque centrale. Notre interlocuteur pense que le pays n’a pas les moyens d’indemniser les ex-militants politiques. D’après ses dires, "Chedly Ayari ne pourra pas mener une politique monétaire indépendante et saine car il sera à la merci des caprices du gouvernement".  

Quelle lecture faites-vous de la démission de Houcine Dimassi, ministre des Finances ?
Cette démission est tardive, elle aurait dû intervenir depuis trois mois, dès lors que des signes de désaccord entre le ministre démissionnaire et le gouvernement ont apparu. Houcine Dimassi plaide néanmoins pour une politique de rigueur et d’austérité ; il propose d’alléger les charges de la caisse de compensation, notamment celles orientées vers la subvention des hydrocarbures. Je ne sais pas si de telles mesures passeraient dans l’opinion publique dans une telle conjoncture.

Le sujet qui fait polémique est l’indemnisation des bénéficiaires de l’amnistie générale. Cette mesure coûterait des sommes faramineuses à l’Etat et risque de nuire aux équilibres généraux du pays. Qu’en dites-vous ?
Aujourd’hui, la Tunisie n’a pas les moyens de procéder à de telles indemnisations. L’indemnisation doit obéir à certains critères, et ne concerner que ceux qui ont consenti de grands sacrifices, on ne peut pas dédommager tous ceux qui ont milité. Celui qui milite, il le fait pour ses principes et le pays et n’attend pas de contrepartie. D’autant plus que le pays ne dispose pas aujourd’hui de moyens pour verser des dommages et intérêts d’une telle ampleur.

Le gouvernement a affirmé, par la voie de Samir Dilou,  que les indemnisations des bénéficiaires d’amnistie générale ne doivent en aucun cas  toucher équilibres financiers de l’Etat, et qu’il ne s’agit maintenant que d’estimations, et rien n’a été encore décidé à ce sujet…
Je pense qu’ils vont le faire, et la décision sera prise lors du prochain conseil des ministres.

Houcine Dimassi conteste la révocation de Mustapha Kamel Nabli et son remplacement par Chedly Ayari. Qu’en pensez-vous ?
Chedly Ayari a travaillé avec Bourguiba, Ben Ali et maintenant, il travaille avec la révolution. C’est un homme changeant. Kamel Nabli était l’homme idéal à la tête de la banque centrale. Il a mené une politique monétaire exceptionnelle et appropriée à la conjoncture. Il a au départ mis en  route une politique monétaire expansionniste, et puis il a serré la vis.

Mustapha Kamel Nabli a, en effet,  commencé par injecter de la liquidité dans les banques, car celles-ci se trouvaient à sec, après que les gens aient retiré leur argent du fait des appréhensions nées de la révolution. Il a ainsi évité la chute des banques, comme l’a fait Barak Obama en 2008 pour prévenir la faillite des banques américaines. Et puis depuis mars et avril 2011, lorsqu’il a constaté une tendance inflationniste, il a procédé à une augmentation progressive du taux du marché monétaire pour décourager les banques à emprunter. Il a, de surcroît, augmenté les taux de réserves obligatoires (la part des réserves financières que les banques doivent déposer auprès de la banque centrale). Comme il l’a souligné lui-même, Mustapha Kamel Nabli a été destitué pour des raisons politiques, car on le disait appartenir au clan de Béji Caïd Essebi, d’autant plus qu’il tenait à préserver  l’indépendance de la banque centrale, alors que le gouvernement cherchait à recourir à la planche à billets.

Mais le recours à la planche à billet a des conséquences incalculables en termes d’inflation, de dépréciation de monnaie, de stabilité économique et d'image du pays en général…
Le gouvernement n’en a cure. Il va recourir à la planche à billets, car il pense aux prochaines échéances électorales.

Chedly Ayari est quand même un professeur émérite d’économie, il n’est pas dupe pour se laisser entraîner dans de tels dérapages qui risquent d’avoir des conséquences graves pour le pays ?  

Chedly Ayari a des compétences, c’est notre professeur. Mais, il faut revenir aux circonstances de sa nomination : Chedly Ayari a été critiqué avec virulence à l’assemblée nationale constituante. Or, l’atout d’un gouverneur de la BCT, c’est d’avoir une forte personnalité et de la crédibilité. Chedly Ayari a été d’emblée décrédibilisé, il est dans l’incapacité de faire quoi que ce soit en vue d’une politique monétaire saine. La politique monétaire doit être totalement indépendante et au dessus de la mêlée et des tiraillements politiques. Cette politique doit avoir un double objectif : le premier est d’assurer la stabilité monétaire et donc éviter l’inflation et le deuxième est de relancer la croissance économique. J’ai peur qu'à l’avenir, la politique monétaire ne soit à la merci des gouvernants, car Chedly Ayari sera prisonnier de ceux qui l’ont mis à ce poste.

Propos recueillis par H.J.


 

Commentaires 

 
#4 RE: Tunisie,
Ecrit par Montygolikely     01-08-2012 13:57
Nous fonçons tout droit et allègrement vers le titre que tout le monde va nous envier, celui de première république bananière du Maghreb...
 
 
+3 #3 Il sera hante
Ecrit par khammous     01-08-2012 01:52
Tout billet que Monsieur AYARI fera imprimer indument sera pour lui un chatiment quil retrouvera a l au dela.. A son age il aurait du sauver son prestige DOMMAGE IL SERA TRAINE DANS LA BOUE NAHDHAOUIE
 
 
#2 com
Ecrit par behialo     30-07-2012 23:27
"Si M. AYARI se rend compte qu'il est sous pression du gouvernement, il n'a qu'à présenter sa démission, s'il en a le courage", s'il est un homme!!!
 
 
+8 #1 RE: Tunisie,
Ecrit par SELLAMI     30-07-2012 14:11
Si M. AYARI se rend compte qu'il est sous pression du gouvernement, il n'a qu'à présenter sa démission, s'il en a le courage!!!
 
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