Tunisie : Chedly Ayari prône l’austérité pour sortir de la crise

Publié le Jeudi 19 Septembre 2013 à 15:55
Chedly AyariChedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale, a déclaré dans une interview à asharq al-awsat, en marge de sa visite à Londres, que "la Tunisie vit avec des moyens dépassant ses capacités", préconisant une ou deux années d’austérité, sinon, on ne sortira pas de cette crise. Ayari a affirmé l’incapacité de l’Etat à majorer les salaires dans un avenir proche, " je ne pense pas que nous avons la capacité d’augmenter les salaires en 2014", a-t-il souligné. Le patron de la banque des banques a évoqué la gravité de la situation économique en cette étape, signalant que la Tunisie pourrait atteindre à la fin de 2013 "une situation catastrophique". "Nous avons atteint des niveaux d’inflation que nous n’avons pas connus auparavant, dans la mesure où le taux se monte à 6%, nous ne sommes pas le pire dans le monde, mais c’est la pire situation en Tunisie depuis les années 70". Gnet vous propose une traduction intégrale de cette interview :

Vous êtes en visite à Londres pour prendre part à la conférence de Deauville organisée par le ministère des Affaires étrangères britannique au niveau des experts du G8, quels sont les principaux travaux de cette conférence ?

La conférence tenue dans le cadre du sommet du G8 est importante car elle rassemble les Etats les plus puissants dans le monde, de point de vue économique et financier. D’autant plus qu’ils ont adopté ce qui est appelé les Etats du printemps arabe.

Qu’est-ce que vous entendez par l’adoption des Etats des révolutions ?
J’entends que sur cette base là, ils vont les aider à rechercher des solutions pour relancer le développement dans ces contrées. Ils ont élargi leur cercle. Après que leur projet ait été limité à la Tunisie, la Lybie, le Yémen et l’Egypte, ils ont intégré maintenant le Maroc et la Jordanie, étant donné que ces pays vivent également des périodes transitoires. Ils ont estimé que ces pays ont besoin d’une aide des grands pays occidentaux. C’est ainsi qu’est né le partenariat de Deauville, sur la base d’un accord conclu à la ville française de Deauville, depuis près de deux ans, où ont été adoptés ce qui est appelé les Etats du printemps arabe.

Depuis deux ans, la Grande Bretagne et l’Occident en général, étaient plus enthousiastes à aider le printemps arabe, mais maintenant un certain fléchissement semble se faire sentir.
L’enthousiasme de l’Occident pour aider les Etats des révolutions a-t-il réellement changé ?
L’occident est dans un état, je ne dirai pas d’hésitation mais de questionnement. Bien qu’ils n’aient pas préféré les islamistes (ndlr : les pays occidentaux), ils se sont adaptés à la situation, dans l’espoir que ce qui est appelé l’Islam modéré donne la solution. Ils ont aidé moins, et ont souhaité la stabilité et une évolution démocratique, mais les développements étaient complètement aux antipodes de leurs conceptions en Tunisie, Lybie, et l’Egypte.  Les choses ont évolué d’une manière inattendue. Ils ont par exemple prédit que le retour des islamistes sera un retour islamique modéré, ou d'un islam démocratisé, mais ils ont constaté que l’éloignement des dictateurs a donné lieu à un islam extrémiste, et un type de terrorisme ; ce n’était pas le scénario qu’ils voulaient. Ils se sont retrouvés devant des poches de terrorisme. Ils sont en train de revoir leur équation avec l’entrée d’un élément dont ils n’ont pas tenu compte, soit le danger terroriste, comme c'est le cas pour ce qui est de leurs calculs en Syrie. L’islam extrémiste prédomine sur l’opposition, ils ne veulent pas d’une afganistaion de ces pays.

Les pays post-révolutions vivent-ils les mêmes difficultés économiques ?
Non, tout le monde doit savoir que chaque pays a une situation spécifique, ce qui se passe en Egypte est différent, idem de ce qui se produit en Libye. Chaque pays a ses spécificités, traiter leurs problèmes selon la même méthode est une erreur...

Les experts et l'opposition reprochent à la Tunisie sa gestion de la situation économique et financière basée uniquement sur l’endettement ?
Celui qui nous critique doit connaître la situation. Les ¾ de ceux qui nous critiquent ne savent pas la situation réelle du pays. Financièrement, nous avons une faiblesse depuis longtemps. Il ne peut y avoir de création de richesses sans investissements. Si on veut l’investissement, on doit rechercher les sources de financement basées principalement sur l’épargne nationale, nos sources intérieures, et la différence entre l’investissement dont on a besoin et l’épargne…celui qui nous critique, selon le principe de l’endettement a tort.
Aujourd’hui, l’endettement de la Tunisie est entre 45 et 46 % du produit intérieur brut, un taux raisonnable comparé aux pays du monde, et qu’il est possible de maîtriser. L’important en matière d’endettement est comment utiliser les fonds. Si l’on s’endette pour financer la consommation quotidienne, c’est un problème, mais si l’on s’endette pour créer de l’industrie ou de l’agriculture, ce n’est pas un problème. Car, dans l’avenir, on va rembourser à partir de la richesse créée. Le problème réside dans la mauvaise utilisation.

Est-ce vrai que l’endettement est affecté dans sa totalité aux salaires, car le gouvernement est dans l’incapacité de payer les salaires des fonctionnaires ?
Non, ce n’est pas vrai. Je ne cache pas que nous aurions préféré que la majeure partie des dettes soit dirigée uniquement vers le développement, mais ceci n’a pas eu lieu, car la pression des salaires, de la compensation, c'est-à-dire la subvention des prix du pétrole et de l’alimentation, qui avoisine les 3 à 4 milliards de dinars, et les cours de pétrole sont en ascension…ceci est extrêmement impactant, produit des pressions sur toutes les ressources, et puise dans les devises, c’est comme un cancer.

N’avez-vous pas trouvé une coopération du gouvernement pour appliquer votre stratégie ?
En l’état actuel, nous réitérons le même discours à chaque budget, et nous attirons l’attention du gouvernement que les budgets post-révolution doivent être des budgets d’austérité. Il ne peut y avoir de révolution à ses premières années, qui n'observe une période d’austérité.

N’avez-vous pas trouvé des échos auprès du gouvernement ?
Jusqu’à présent, la voie d’austérité est inexistante dans le budget tunisien, et c'est ce à quoi nous sommes en train de payer le prix maintenant. Nous discutons le budget de 2014, et il semble pour la première fois, que le gouvernement se dirige vers la compression des dépenses. Nous ne pouvons pas continuer selon ce modèle, l’austérité doit être décrétée particulièrement en matière de consommation. Je ne pense pas que nous avons la capacité d’augmenter les salaires en 2014.

Le gouvernement peut considérer, en ces circonstances transitoires, que s’il impose une politique d’austérité, il risque d’être destitué. Cela le met dans une situation difficile ?  
Tout à fait, je suis complètement d’accord. Ceci est vrai, mais nos rôles sont différents. Mon rôle en tant que Banque centrale est de tirer la sonnette d’alarme, étant donné que je suis indépendant. Je dis et redis que la situation financière et économique a atteint une étape extrêmement délicate.  
Lorsque j’ai pris mes fonctions en tant que gouverneur de la Banque centrale de Tunisie depuis une année et un mois, j’étais plus optimiste, et ce n’était pas un optimisme déplacé. Je croyais en la possibilité de la relance de l’activité économique, et qu’il était possible de revenir à nos activités. Mais, le doute a commencé à me gagner en février dernier, après l’assassinat de Chokri Belaïd, avec cela, et malgré les difficultés, je suis demeuré optimiste.

La situation s’est aggravée avec l’assassinat de Mohamed Brahmi le 25 juillet dernier. Dès lors, tout a changé avec la réclamation de la chute  du gouvernement. J’ai rencontré le président Moncef Marzouki il y a une semaine, et je l’ai informé que si la situation politique ne se stabilise pas, cela va porter préjudice à l’économie. Car l’économie est tributaire de la politique. Nous disposons de moyens pour redynamiser l’économie et nous avons l’aide des pays étrangers. Nous en tant qu’experts nous pouvons créer la richesse en Tunisie. Je vous donne un exemple, le phosphate est le cœur battant de l’économie en Tunisie, l’arrêt de la mine avec les grèves y a porté préjudice. Et partant, je ne pourrais planifier car je ne connais pas mes revenus par exemple du phosphate, et cela dépend de la politique et de l’UGTT. Je ne peux pas présenter des garanties en économie, ce n’est pas par manque de maîtrise, mais parce que la situation ne le permet pas. Nous avons des missions d’investisseurs étrangers qui se sont arrêtées, nous leur avons demandé de ne pas venir, car l’on se demande qui vont-ils rencontrer. Et lorsqu’ils s’interrogent : avez-vous un plan politique, on leur répond : nous n’avons pas de plan.

Voyez-vous des perspectives pour une solution politique en Tunisie, a fortiori que vous considérez que l’économie est tributaire de la politique ?

Nous sommes arrivés à la dernière étape. La période transitoire touche à sa fin. Tout le monde veut actuellement l’achèvement de la période transitoire, y compris le peuple et tous les opposants. C’est un grand changement de la droite, de la gauche et du centre, tous sont en quête de stabilité. Mais, il n’y a pas une conscience nationale commune. Tout le monde aspire à avoir un positionnement et à le préserver. Il y a un intérêt suprême qui est inexistant. Le pari sur le développement est de même inexistant. On réfléchit uniquement à la politique, et l’économie est reportée. Le sentiment que l’économie est une priorité est inexistant.

Voyez-vous que la situation économique en Tunisie pourrait entraîner la chute du gouvernement actuel, si le recul persiste ?
Je dis ces jours-ci, si on ne prend pas conscience de la nécessité de sauver l’économie de l’effondrement avec la fin de 2013 -et je considère que cela est tardif, car j’ai demandé cela depuis trois mois- chaque jour qui passe avec l’absence d'une solution économique est une catastrophe pour la politique. La Tunisie pourrait atteindre la fin 2013 une situation catastrophique. Aujourd’hui, nous résistons dans une certaine mesure. Mais, la situation est extrêmement critique, et je ne dispose pas de solution politique, étant donné que je suis indépendant. Je dis aux politiques : vous dépensez plus que votre capacité. Même le gâteau que vous allez partager n’existera pas. Qu’est-ce que vous allez répartir : la pauvreté ? Si la démocratie était la répartition de la pauvreté, on est perdu. Quelle concrétisation de la justice, dans la pauvreté.

Comment le dinar tunisien a-t-il pu résister, malgré tous ces problèmes ?
Le dinar stocke les problèmes du pays. La monnaie est la confiance, vous n’avez pas d’autre force. Sa situation actuelle est qu’il perd de sa valeur comparé aux devises fortes comme l’euro et le dollar. Le dinar s’est déprécié depuis la révolution, de 10 à 15 % de sa valeur, ce qui reflète le recul de l’économie tunisienne. La devise est un appui pour le dinar, elle a diminué vu la baisse des exportations corollaire du manque de production et de la crise en Europe. Ceci influe négativement le dinar. Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on constate qu’il se dévalue, on achète le dinar en injectant de la devise. Les observateurs pourraient penser à mettre en doute le dinar et l’économie (…).

Quel était l’impact de la contrebande de monnaie sur la Libye.
L’export et l’import de milliards de dollars, et les billets de banque sont vendus au marché parallèle sur les frontières d’une manière importante depuis la révolution libyenne, ce qui brouille nos calculs du fait de l’entrée d’une devise non-contrôlée. Dans les régions proches des frontières, la devise se vend comme le pain. Mais, heureusement, qu’ils la vendent à un prix proche des cours officiels. On me dit toutes les semaines que des personnes portant plus de 100 mille euros vers la Tunisie sont arrêtées, les listes me parviennent. Nous essayons d’y faire face, mais la confiance est écornée.

La Tunisie se dirige-t-elle maintenant vers l’inflation ?

Hélas, on a atteint des niveaux qu’on n’avait pas connus auparavant, dans la mesure où le taux a atteint 6 %. On n’est pas le pire dans le monde, mais le pire en Tunisie depuis les années soixante dix. L’inflation a avoisiné les 6,5 %, mais les derniers mois, on a commencé à descendre sous les 6 %. La courbe est descendante mais elle est inquiétante. Car on n’est pas habitué à ce taux qui incite à demander une majoration des salaires. Nous avons sans doute un problème, la contrebande des marchandises vers la Libye. Tous les jours des camions pleins sont appréhendés, outre les circuits de distribution informels.
Traduit par Gnet


 

Commentaires 

 
-1 #4 Réalités à dire
Ecrit par abdessalem07     25-09-2013 17:13
Toujours on lance le ballon à l'UGTT ou au tunisiens qui ne veulent pas travailler ou au gouverneurs avant la révolution pour se sauver de la responsabilité les précédents gouverneurs ont quitté depuis 3 ans et ont laissé l'état économique du pays mieux qu'aujourd'hui l'UGTT a le droit de demander l'amélioration des conditions de vie de ses impliqués et ses son rôle principal ,mais la question qui doit se poser : ce qu'ont fait les gouverneurs d'après la révolution et surtout les gouverneurs d'après les élections pour réaliser même 1% des objectifs de la révolution ou au moins tenir l'état de l'économie comme il était? Ils ont passé des centaines d'heures à se quereller sur les plateaux télévisés et au conseil constitutionnel au lieux de s'interesser des vrais problèmes du pays et bien choisir des gens compétent qui pouvaient bien diriger le pays et qui existaient en fait mais l'amour du gouvernement des partis électés a mené à un partage qui a éloigné ,intentionnellement ou non ,les intérêts du pays des premières préoccupations .
 
 
-1 #3 eco
Ecrit par jamel     22-09-2013 18:39
tant que on a une organisation comme l'UGTT qui encourage les gréves et sit-in et tant que on un peuple qui aiment dormir et réclame des postes gouvernementale ou bien il bloque tous sort d'activité donc on doit vivre cette situation et même le pire .... pour sortir de cette psituation il faut travailler 12 heure par jour au lieu de 8h et aprés on peut demande des augmentation salaires .
 
 
+1 #2 « Tunisie : Les dernières élucubrations du Président MARZOUKI, faites, la semaine dernière, sur CNN »
Ecrit par Salah HORCHANI     20-09-2013 13:41
« Tunisie : Les dernières élucubrations du Président MARZOUKI, faites, la semaine dernière, sur CNN »

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Salah HORCHANI
 
 
+3 #1 RE: Tunisie : Chedly Ayari prône l’austérité pour sortir de la crise
Ecrit par Montygolikely     19-09-2013 19:02
Quand on est gouverné par une bande dont le seul souci est de s'approprier et de garder le plus longtemps possible tous les postes de l'administration, de faire de la figuration dans les médias et surtout de se démontrer incapables de résoudre au mieux les vrais problèmes du pays, ce constat n'est pas étonnant...
 
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