Tunisie : Au terme de son mandat, l’IVD présente les résultats de ses travaux

Publié le Vendredi 14 Décembre 2018 à 15:34
"L’instance vérité et dignité a achevé son mandat et a réussi à démanteler le système de corruption et de despotisme, c’est ce qui explique la contrariété de certains qui cherchent à capoter le processus de justice transitionnelle", a déclaré ce vendredi 14 décembre Sihem Bensedrine, considérant que "leur bataille est perdue".

L’IVD a présenté ce vendredi 14 décembre, lors d’une conférence de clôture de ses travaux organisée à la caisse de prévoyance et de retraite des avocats au centre urbain Nord, en présence de plusieurs personnalités politiques, publiques et de la société civile les résultats de son mandat qui s’est étalé sur quatre ans et demi et qui a vu la tenue dizaines de milliers de séances d’audition de victimes de différentes violations des droits de l’homme.

Délation et dénonciation

Le régime autoritaire recourait à des pratiques d’espionnage, de contrôle de la vie privée des citoyens et s’appuyaient sur des indics pour traquer les activistes des droits de l’homme, les hommes politiques, les partis d’opposition...  Ces pratiques visaient un petit nombre de personnes sous Bourguiba, mais sous Ben Ali c’est toute la société qui était espionnée et surveillée, a dit Bensedrine. "La direction régionale des renseignements a proposé à Ben Ali de créer la société Allo Taxi à des fins de dénonciation et de délation, chose que l’ancien président a acceptée", a-t-elle dit. .

Les pratiques du régime despotique s’appuyaient sur la  répression, le parti dans son imbrication avec l’Etat, la délation et la dénonciation. Chose qui menait aux violations. L’instance a recensé 32 crimes commis sous l’ancien régime, liés notamment au viol, violence sexuelle, torture, disparition forcée, etc.

Relaxés, les prisonniers politiques n’étaient pas au bout de leurs peines, soumis qu’ils étaient au "harcèlement systématique et une torture quotidienne", qu’était le contrôle administratif. 

Plus de 15 mille victimes ont subi le contrôle administratif, avec des séquelles physiques et psychiques, et un impact sur leur vie conjugale, et leurs rapports avec leurs enfants, sans compter les conséquences économiques.

Evoquant les crimes financiers, Bensdrine a souligné que le mécanisme de réconciliation utilisé par l’IVD, via l’instance Arbitrage et Réconciliation, a permis de déterminer les personnes qui ont spolié les caisses de l’Etat et les deniers publics. "Ce mécanisme donnait la possibilité à ceux-ci de reconnaitre leurs erreurs et de restituer l’argent de l’Etat", a-t-elle indiqué, critiquant la loi sur la réconciliation, en vertu de laquelle 200 personnes ayant profité des caisses de l’Etat, ont été amnistiées.

Les auteurs de violations avaient un devoir de redevabilité. Ils devraient reconnaitre les crimes et demander pardon, comme le stipule la loi régissant la justice transitionnelle. "Ceux qui ont commis des violations et se sont excusés auprès des victimes, ont été pardonnés", a déclaré Oula Ben Nejma.   
 
Réformes pour éviter le non-retour

Bensedrine a pressé l’Etat à traduire dans les faits les recommandations de l’Instance, à travers la mise en œuvre de réformes, pour garantir que les  violations ne se reproduisent plus, à assainir la justice,  la police et l’administration de ceux qui ont commis des crimes au nom de l’Etat, et à dédommager les victimes. Elle a précisé sur ce point que l’indemnisation n’aillait pas alourdir les charges de l’Etat, mais ce sera une source pour le déferlement de fonds pour le trésor public. 

La présidente de l'IVD a appelé à préserver la mémoire collective en édifiant des lieux de mémoire, à l’instar de ce qui existe en Amérique Latine, en Afrique et au Maroc, afin que nos enfants puissent les visiter, ce qui est de nature à nous prémunir contre toute forme de retour.

Elle a appelé l’Etat à assumer sa responsabilité en matière de protection des magistrats et d'indépendance de la justice, face aux menaces des lobbies, de manière à protéger le processus de reddition des comptes. 

Bensedrine a déclaré qu’il ne pouvait y avoir de paix civile sans questionner ceux qui ont commis des crimes au détriment de la Tunisie, rompre avec les violations et parvenir à la réconciliation.

"L’Etat devra être une source de protection, et non une source de violation", a-t-elle préconisé.

Mettre la justice à l'abri des tiraillements
L’ensemble des autorités judiciaires du pays doivent appliquer la justice, et continuer à se saisir des dossiers de justice transitionnelle, liés aux violations des droits de l’homme, des blessés, martyrs de la révolution, dans le cadre des garanties assurées par la constitution, a affirmé le président du conseil supérieur de la magistrature. 

La justice transitionnelle requiert de révéler la vérité, d’imputer les responsabilités avant de punir et de s’excuser avant de se réconcilier afin d’avancer vers un système démocratique, qui serait un rempart contre toutes  les formes de dérapages, a-t-il souligné.

Il a promis que la justice allait assumer cette responsabilité loin de tout arbitraire, appelant à ce que son travail soit à l’abri de l’esprit de vengeance et des tiraillements politiques, pour que la Tunisie puisse tourner la page et clore ces dossiers.

Le président de l’INLUCC, Chawki Tabib, qui a parlé au nom des instances indépendantes, a affirmé que le système de corruption qui nous a été légué par l’ancien régime est encore là. "Les pratiques d’antan continuent au niveau de la douane, et de certains hommes d’affaires", a-t-il déploré, signalant que la corruption était la cause essentielle de l’instauration du protectorat en Tunisie.

"La corruption a volé le rêve de l’Etat national, et a amené les Tunisiens à se soulever contre Ben Ali, c’est la plus grande menace pour la marche vers la démocratie', a-t-il mis en garde. Si on veut réussir la transition, il faut qu’on aille de l’avant en termes de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, a-t-il indiqué, appelant à parachever le processus de justice transitionnelle dont l’objectif est la réconciliation et le non-retour aux violations du passé.

Les travaux de la conférence qui s’étalent sur deux jours concernent le démantèlement du système despotique, la préservation de mémoire, le programme d’indemnisation, les séquelles des violations sur les femmes, les conjoints, et les enfants, les réformes pour éviter le non-retour, et la réconciliation. Une audition publique aura lieu demain sur le système de propagande et de désinformation des médias. 

Gnet