Tunisie : 60 ans après, une relecture critique du CSP s’impose

Publié le Vendredi 12 Août 2016 à 13:51
A la veille de la célébration de la fête nationale de la Femme, et du 60 ème anniversaire du code du statut personnel (CSP), l’Office Nationale de Famille et de la Population a organisé une table ronde où Khadija Madani avocate à la cour de cassation et Présidente de l’association vigilance et égalités des chances (AVEC) a présenté une lecture critique du Code du Statut Personnel, entre 1956 et 2016.

Cet acquis pour les femmes tunisiennes, et la famille en général, initié par les hommes de l’après indépendance, notamment le leader Habib Bourguiba, a certes été révolutionnaire dans une Tunisie qui connaissait un fort taux d’analphabétisation et de pauvreté au milieu des années 1950, mais n’a pas toujours été l’idéal auquel aspire la société, surtout ces dernières années.

Khadija Madani a rappelé ce matin que l’avènement de ce code qui régit la vie de famille et les droits économiques et sociaux des femmes, s’inscrivait dans la continuité d’un mouvement de réforme qu’avait connu le monde arabo-oriental depuis le 19eme siècle. Un mouvement mené surtout en Egypte et en Tunisie, par Snoussi, Thaalbi et Haddad. « Le CSP représente un important virage dans l’histoire de la Tunisie et représente un pacte de l’indépendance sociale dans notre pays », a indiqué Madani.

Elle a rappelé qu’avant cette avancée, la jeune fille était obligée de se marier si son père en avait décidé ainsi. « Bien évidemment, il n’était pas question de parler d’âge minimum légal pour le mariage. C’est sans parler du divorce, où les femmes n’avaient pas leur mot à dire, et ne disposait d’aucun droit, en plus d’être privées de leurs enfants », a-t-elle dit, en relevant que le développement des pays était mesuré par  rapport à l’avancée des droits des femmes.

Le CSP stipulera désormais que l’homme et la femme étaient égaux face au consentement lors du mariage.

Khadija Madani rappelle, par ailleurs, que le droit à la garde des enfants, évoqué dans le CSP et qui donne plus de droits à la mère, était traité en se basant sur la jurisprudence (Fiqh) au début de la parution du Code. « Ceci entendait que le garçon restait avec sa mère jusqu’à l’âge de 7 ans, ensuite il devait aller chez son père, et la fille jusqu’à l’âge de 9 ans avant d’aller chez son père. Et ce sans prendre en considération l’intérêt de l’enfant. Ce n’est qu’en 1966 que le législateur avait décidé de faire de l’intérêt de l’enfant l’unique condition pour octroyer la garde après un divorce.

«Le législateur a ensuite intervenu en 1981 pour faire de la mère l’unique tuteur légal des enfants après le décès du père. Avant cela, la tâche revenait à l’oncle paternel des enfants. En 1993, le législateur a supprimé l’obligation d’obéissance qui était imposée à la femme face à son mari. Cette condition a été remplacée par le principe d’association et d’entraide entre les époux dans la gestion de la famille », a expliqué Khadija Madani.

Bien que les lois soient amendées pour plus de droits pour les femmes et les enfants, il n’en demeure pas moins que les pères ne soient pas entièrement impliqués dans l’éducation des enfants. « Lors d’un divorce, les pères divorcent aussi de leurs enfants et ne prennent pas en compte leurs besoins. Lors d’une affaire, qui y a eu lieu il y a 25 ans, un enfant avait besoin de l’autorisation de quitter le territoire de son père pour partir se faire opérer à l’étranger. Le père n’a pas été retrouvé, et l’enfant est décédé », se rappelle l’avocate.

Malgré les avancées qu’a connues le Code du Statut Personnel, il demeure porteur d’écarts entre les droits des femmes et ceux des hommes, estime Me Madani. Une ségrégation qui affecte en premier lieu les enfants.

«L’article numéro 23 du CSP est la principale cause des problèmes actuels dans les familles », indique l’avocate dans son intervention. Elle explique que si l’obligation d’obéissance a été supprimée auparavant, son sens demeure entier. Il laisse entendre que le chef de famille est l’homme, et que la femme est sous son autorité », a-t-elle déclaré.

De là, émanent plusieurs phénomènes dont le partage des tâches au sein du foyer. « On constatera que depuis l’indépendance, les femmes ont vu leurs responsabilités se multiplier, tandis que l’homme a de moins en moins de responsabilités. Les hommes sont démissionnaires de leur rôle de père, et il suffit de passer devant les cafés, pour voir le nombre d’hommes qui les fréquentent, tandis que les femmes ne sortent très souvent que pour les courses, et sont aux arrêts du bus pour aller travailler très tôt le matin », a dit la militante.

Elle déplore par ailleurs, l’existence de l’article 13 du CSP, qui évoque la dot, en laissant entendre que l’époux peut obliger la femme à consommer le mariage s’il a payé sa dot.

La jurisprudence joue un grand rôle dans l’application du CSP, et notamment dans les affaires du mariage coutumier, où encore dans le cas où la femme refuse la cohabitation avec le mari. « Jusqu’à ce jour, la femme perd ses droits devant le juge, au cas où elle refuse de cohabiter avec son mari dans un foyer qu’il aurait lui seul choisi, même si le CSP lui accorde le droit de participer aux choix de la famille », a souligné Khadija Madani.

Le CSP a octroyé à la femme le droit de choisir sa contraception, d’avorter, et de jouir d’un meilleur statut au sein de la famille, mais conserve encore une situation précaire, où elle n’est pas tout à fait l’égale de l’homme, même si elle contribue à la vie familiale parfois plus que l’homme.

Il faut, selon elle, faire une relecture du Code du Statut Personnel, de manière à ce qu’il soit en adéquation avec la constitution, qu’il garantisse l’égalité entre les citoyens, et renforce les droits des femmes. « Je propose également à ce que les magistrats soient formés de manière saine, pour pouvoir statuer dans les affaires de la famille », a-t-elle déclaré.

Une représentante du ministère de la Santé a pour sa part intervenu pour passer en revue les droits dont dispose les femmes depuis l’indépendance. « La santé de la femme et de l’enfant sont au centre de la stratégie de notre ministère dans son programme 2016_2020. La femme est un élément central dans la gestion de la famille. Elle doit être dotée des meilleures conditions pour mener à bien sa mission », a-t-elle indiqué.
Chiraz Kefi



 

Commentaires 

 
-1 #1 Question
Ecrit par Royaliste     14-08-2016 11:46
si a l'époque le gouvernement aurait soumis le CSP a un référundum populaire, pensez vous que les tunisiens l'auraient adoptés?

de la, pensez vous que le systéme démocratique est valide pour toutes les sociétés et en tous temps?
 
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