Tariq Ramadan à Tunis : La polarisation mène la Tunisie dans l’impasse

Publié le Jeudi 28 Mars 2013 à 16:31
Tariq Ramadan L’islamologue suisse d’origine égyptienne, Tariq Ramadan, est intervenu hier (mercredi)  lors d’une conférence sur  "Islam et gouvernance à l’ère du printemps arabe : référentiel éthique ou projet alternatif ?", organisé en marge du Forum social mondial qui se tient du 26 au 30 mars à Tunis.  

"Il y a plusieurs questions qui se posent aujourd’hui en termes de gouvernance  au niveau des sociétés qui sont passées par ces processus révolutionnaires au premier rang desquelles la Tunisie et l’Egypte", a dit Tariq Ramadan. Il appelle "à complexifier la théorie de bonne gouvernance, qui ne se borne pas à l a gouvernance de l’Etat, et au rapport de l’Etat au pouvoir."
"La démocratie n’est pas seulement l’exercice du droit de la majorité et du droit de vote,  c’est beaucoup plus complexe que cela," a-t-il souligné, en évoquant Bill Clinton. "Parlant de sa société il y a quelques années, Clinton a dit que le pouvoir dans ce pays est détenu par 1% de la population, c'est-à-dire qu’il y a les processus de vote, mais il y a le pouvoir économique, le pouvoir d’institutions qui ont une autorité fondamentale sur l’Etat mais qui ne sont pas liées par les règles de la démocratie".

La polarisation est contreproductive
Pour Tariq Ramadham, "il ne suffit pas de qualifier l’Etat d’islamique ou de laïc pour déterminer ses rapports à la bonne gouvernance,  à la question démocratique, à la transparence et à  la corruption. Et de renchérir : "L’étude simple de l‘histoire de ces dernières années nous montre qu’on a pu qualifier un Etat de laïc ou d’islamiste, et dans les deux cas, on a pu voir le manque de transparence, la corruption et des déficits démocratiques. Cette qualification est en elle-même contreproductive", a-t-il dit, s’abstenant "des simplismes qui consistent à dire que dans une société majoritairement musulmane, on a forcément raison parce que l’on se réfère, en terme politique de gouvernance,  à  l’Islam et on aurait forcément raison dans la pensée progressiste, car l’on se réfère à la laïcité. Ces discours et ces polarisations sont en train de mener les sociétés majoritairement musulmanes, au premier rang desquelles la Tunisie dans une impasse du débat politique, et c’est encore pire en Egypte". Le conférencier met un bémol :  "il y a des forces dans les deux camps aujourd’hui qui ont compris que les termes du débat ne sont pas sur la qualification au niveau du référentiel, mais c’est sur des propositions de politiques sociale, économique et culturelle qu’il faut axer le débat'.

Quid du référentiel islamique ? Est-ce une proposition alternative, est-ce quelque chose de spécifique, est-il dans la différence, ou dans l’interactif, s’est-il interrogé en substance.

"Dans toutes les tendances politiques aujourd’hui dans les sociétés majoritairement musulmane, il faut qu’on mette en évidence une chose qui est l’évolution de la pensée du courant islamiste. Si l’on se réfère à ce qu’a écrit il y a une trentaine d’années, cheikh Rached Ghannouchi  et ce qu’ont produit dans d’autres pays les frères musulmans ou autres, il y a des évolutions, celles-ci existent même dans les positions d’un certain nombre de laïcs. Il ne faut pas que l’on regarde les choses dans une espèce de discours essentialisé", a-t-il souligné. A ses yeux, "ce n’est pas rien historiquement d’être passé de la notion de الدولة الإسلامية (Etat islamique) à celle de الدولة المدنية (l’Etat civil)".

"Certains penseurs de l’islam politique ont évolué très tôt. L’un des premiers, qui n’a pas eu de problème d’utiliser le concept de la démocratie comme référence, est, faut-il le reconnaître, cheikh Rached Ghannouchi. J’ai pu, moi-même, voir des islamistes qui disaient qu’il se trompe et la démocratie n’est pas islamique. Aujourd’hui, ils utilisent le même concept.  On peut dire que c’est une stratégie politique, toujours est-il que l’idée d’un Etat civil dans lequel l’imposition du religieux ne vient pas ni de l’autorité religieuse ni des référents religieux, et que l’autorité de l’Etat est négociée par le bas, c'est-à-dire que l’autorité est mandatée par la société et les citoyens, est une évolution".

Commet va se définir le référentiel par rapport à la structure étatique ? Est-il éthique ?
Aussi bien ceux qui ont un référentiel musulman, que ceux qui n’en ont  pas ou n’en veulent pas de référentiel musulman en politique, peuvent avoir des principes communs.
Le premier élément qui ne doit pas être négocié  ad vitam aeternam est l’Etat de droit.
Le deuxième principe est la notion de citoyenneté égalitaire, que l’on soit homme ou femme, riche ou pauvre, de tradition musulmane, d’autres traditions ou sans traditions…
Le troisième principe est celui du suffrage universel. 
Le quatrième élément est  d’être mandaté et de revenir au peuple pour pouvoir être mandaté pour aller au bout d’une période de temps. Tariq Ramdan  s’est inscrit en faux contre l’idée d’un certain nombre d’islamistes, et certains membres du FIS algérien notamment, qui disent accepter de se plier à la démocratie jusqu'à parvenir au pouvoir, et puis ils arrêtent le processus de décision. "Ce discours n’est pas celui des 80 % des islamistes qui sont au pouvoir au Maroc, Egypte", etc., a-t-il indiqué, affirmant que "le plus important est de garder le même principe par lequel on est arrivé au pouvoir".
Cinquième principe : la séparation des autorités.
Sixième principe : séparation des pouvoirs en mettant en évidence que le religieux ne s’impose pas à l’autorité de l’Etat.

De l'éthique en politique
"Partout dans le sud et dans le nord,  ces principes ne sont rien, s’il n’y a pas une lutte déterminée contre la corruption ; et un progrès vers la transparence dans les rapports entre institutions. C’est la condition sine qua non de toute gouvernance politique qui se fonde sur des principes démocratiques ou le référentiel éthique", a-t-il fait valoir. Le besoin d’introduire l’éthique dans la politique se fait sentir en Suisse, Grande-Bretagne,  France et aux Etats-Unis. Ce principe n’est pas nouveau mais il doit être ancré dans tout pouvoir politique. Il s’applique tant à ceux qui sont au pouvoir, qu’à ceux qui sont dans la contestation. Car, il y a ceux qui sont tellement obnubilés par le pouvoir ou l’échec du pouvoir en place, qu’ils perdent l’éthique de la contestation".  

Tariq Ramadan a mis l’accent sur la dimension de la société civile dans les transitions, qui peine, selon ses dires, "à avoir la force de construire son pouvoir pour peser sur la construction du projet politique".
La bonne gouvernance sous-tend aussi une société civile au pouvoir économique, a-t-il indiqué. "D’après la situation d’aujourd’hui, observé pays par pays, il se peut que les processus de libération politique mènent à des processus de fragilisation politique qui vont ramener dans le cénacle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale toutes les sociétés fragilisées", a-t-il mis en garde. Il a cité pour exemple "la situation de l’Irak artificiellement tenu, économiquement assisté et spolié. Idem pour la Libye. Autant pour la Tunisie qui est dans une situation de fragilité politique qui fait qu’elle soit directement liée aujourd’hui aux potentialités du FMI et de la banque mondiale, même chose pour l’Egypte".

"On est en train d’assister à une fragilité politique qui pousse tous les acteurs politiques autant les laïcs, les sécularisés que les islamistes à devenir des acteurs politiques de gauche capitaliste, néolibérale, dans la mesure où ils sont obligés d’accepter ce qu’on est en train de leur imposer". Pour le conférencier, "les pays qui sont les plus grands promoteurs de la  pensée littéraliste et salafie, sont ceux qui ont les plus belles relations avec les institutions internationales les plus capitalistes, ce sont les pays du Golfe, l’Arabie Saoudite et le Qatar notamment".

Tariq Ramadan a mis l’accent sur la dimension culturelle. "Il faut faire attention car la culture touche au problème de la nation. Il faut célébrer la nation tunisienne, mais il ne faut pas que les Tunisiens deviennent des nationalistes", a-t-il prôné. "Si aujourd’hui, ce qu’on a appelé le printemps arabe commence à devenir des libérations nationales complètement sectaires non liées avec le front Sud/Sud, on aura des pays divisés. La Tunisie pour les Tunisie, l’Egypte pour les Egyptiens"..., a-t-il conclu.
Gnet


 

Commentaires 

 
#3 Freres Musulmans et Democratie
Ecrit par abdou20433     06-04-2013 21:03
Mr. Ramadhan est sans conteste un brilliant philosophe et un musulman letter. Le problem c'est qu'il se refused dire c'est que ses interpretations et lectures du Coran ne sont que de peu d'assistance face a celles que font les frères musulsmans au pouvoir en Egypte et en Tunisie. Ces derniers forment le lit de l'extremisme religieux qui interdit de penser en dehors des canons imposes par la force. le voile, la barbe, les modes vestimentaires et alimentaires en general, les relations sociales et hiumaines notamment entre homes et femmes sont codifies, imposes et reprimés et Mr. Ramadhan se contente de nous dire que cela n'a rien a voir avec l'Islam...soit alors laissons l'Islam dans les mosque♪0es et mettons au pouvoir des homes pour qui les concepts de democratie et de droit de l' home sont ce qu' ils devraient être au niveau universel...et cela ne changera rien que Mr. Ramadhan nous dise que la democratie de Sarkozy ou de Bush ou de Obama ne sont que des democraties de façade ne changera rien a cela...l'essentiel est de dire que au nom de l'Islam, les frères muslmans repriment une grande partie de leur société et leur refuse tout droit qu'une democratie minimum leur reconnaitrait...alors Mr. Ramdhan un petit effort...dites clairement nos frères musulmans n'ont rien a voir avec la notion de democratie et que seul compte pour eux un retour deguisé et decontextualize vers l'Islam du temps du Prophete (Sala Allalhi alihy was Salama) et des khoulafa
'a erachiddoun...ce qui n'est pas exactement un projet pour nos enfants a l' heure d'internet...ah opui vos enfants et vous etes en Suisse !
 
 
+1 #2 Guignol
Ecrit par Royaliste     29-03-2013 16:44
L’un des premiers, qui n’a pas eu de problème d’utiliser le concept de la démocratie comme référence, est, faut-il le reconnaître, cheikh Rached Ghannouchi.

ghannouchi est démocrate? LOL on voit ca tous les jours depuis que son altesse est revenu en Tunisie

seul les naifs croient que nahdha veut démocratiser la Tunisie
 
 
#1 RE: Tariq Ramadan à Tunis : La polarisation mène la Tunisie dans l’impasse
Ecrit par Jeunestunisiensdefra     29-03-2013 00:55
La vidéo de l'intervention en excellente qualité sera bientôt disponible sur la page facebook de notre association qui est organisatrice du débat.


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