Rendez-vous à Sidi Bouzid, berceau de la révolution

Publié le Lundi 07 Février 2011 à 18:40
La Caravane de Remerciements. Les organisateurs désiraient en faire un évènement loin de tout mouvement politique ou courant religieux, dénué de toute revendication ou protestation.

La page Facebook qui a été dédiée à l’évènement insistait sur l’aspect festif de cette caravane qui avait pris son départ à Tunis en direction de Sidi Bouzid, hier dimanche. Il était 7h du matin, quand plusieurs dizaines de voitures faisaient la queue devant le Stade d’El Menzah, apprêtées de drapeaux, d’autocollants, de fleurs et de décoration. Le départ s’est fait tôt, alors qu’il faisait froid et à presque sombre. Quelques heures plus tard et après plusieurs brefs arrêts, ce cortège klaxonnant et tous feux clignotants, escorté par la garde nationale et la protection civile, a été accueilli par les habitants de Jelma, un village à 28 kilomètres de Sidi Bouzid.

Les villageois qui se tenaient sur le bord de la route étaient tout sourire et très accueillants. « Soyez les bienvenus, vous êtes ici chez vous », répétait-on. «C’est la première fois qu’on vient nous voir depuis très longtemps. Ben Ali ne sait même pas que nous existons. Bourguiba n’est venu nous voir qu’à deux reprises en 30 ans », reprochait une femme âgée, parée de son habit traditionnel, et entourée de plusieurs enfants et jeunes femmes de son village. Femmes et hommes avaient quitté le convoi pour aller serrer la main aux habitants, mais aussi prendre en photo cette rencontre émouvante. Les jeunes de Jelma avaient prévu quant à eux, des banderoles et des écriteaux, sur lesquels ils exprimaient leur sympathie pour les membres de la caravane, des mots de bienvenue et d’autres slogans de la révolution, mais surtout des photos du Feu Mohamed Bouazizi. Après quelques échanges entre les hôtes et les invités, la caravane reprend son chemin vers Sidi Bouzid. A presque 14h, arrivés sur l’avenue principale de la ville, les quelques 200 voitures et 4 bus, sont accueillis par une foule joyeuse.

Les mots de bienvenue fusent de toutes les bouches, les youyous des femmes, et les applaudissements des jeunes avaient l’effet d’un feu d’artifice : les invités venus de Tunis étaient surpris, conquis, voire très émus : «Je ne vous cache pas qu’on appréhendait qu’on nous accueille mal, surtout après qu’ils aient été chassés de La Kasbah à coup de Gaz lacrymogène et de matraques », confie une jeune femme qui était au volant de sa voiture. Les automobilistes commencent à quitter leurs véhicules et à aller saluer les habitants, dans un grand mouvement de liesse. La musique qui s’échappait des baffles des voitures se mélangeait aux cris de victoire et de congratulation que s’échangeaient les hôtes et les invités. Sur le chemin, nous passons devant le poste de police, où, ont été retrouvés brûlés 2 détenus, le vendredi dernier au soir. Deux véhicules brûlés jonchaient le sol d’un terrain vague jouxtant le poste de police fermé et gardé par l’armé. Alors que nous étions sur la route vers cette ville, la radio Jeunes annonçait que notre destination a été désertée par les agents de l’ordre suite aux tristes évènements du vendredi. En effet, seule l’armée tenait la ville.

Sidi Bouzid est une ville au cœur de terres agricoles semi-arides, dans sa principale artère baptisée « Avenue du Martyr Mohamed Bouazizi », prennent adresse toutes les administrations publiques et privées. En arrière-plan, se trouvent les quartiers résidentiels, entre foyers modernes et cités défavorisées. Après les premières accolades, les fleurs offertes aux hôtes,  et les danses de joie, les membres de la caravane s’étaient dispersés dans les quatre coins de l’avenue principale, faisant connaissance avec les lieux et leurs occupants. C’est devant les locaux cossus du gouvernorat de Sidi Bouzid que l’on s’est arrêté, lorsqu’un homme criait : «Voila le frère de Mohamed Bouazizi », en essayant de porter notre attention sur un jeune garçon frêle, aux boucles blondes et aux yeux clairs. Il se tenait sur les épaules d’un homme, la photo de son frère entre les mains. L’enfant chétif s’avère âgé de 15 ans et élève en 8ème année de base. Il relate aux micros des journalistes le récit de la mort de son frère, avec patience et dans les moindres détails. «Mohamed a arrêté ses études à l’année de son bac pour travailler et nourrir une famille de 9 membres. Avant sa mort, il était vendeur ambulant de fruits et légumes, jusqu’à ce qu’un agent municipal le gifle, parce qu’il avait insisté à garder son modeste étal, notre seule source de revenus », dit-il. La tragique suite du récit, le monde entier en est au courant. Depuis sa mort, qui subvient à vos besoins ? Le jeune garçon répond : «personne…». Alors qu’un autre jeune homme voulait prendre la parole et accuser le Parti de l’ancien régime d’avoir commandité  l’incendie du poste de police et tué les détenus, un autre homme de la région l’interpelle, «hey, ce n’est pas le moment, aujourd’hui, on est ici pour faire la fête, non pas pour  évoquer les sujets qui fâchent ».

D’ailleurs, les habitants de la ville n’ont pas cherché à faire dévier cet évènement de son but initial, ni à exprimer leur colère, que l’on sait légitime. Rares sont ceux qui ont cherché à parler de politique ou de revendications sociales. Les habitants nous invitent alors, à aller vers le théâtre de la ville, là où il a été réservé aux occupants de la caravane, un  déjeuner géant. Or le théâtre était loin, très loin pour certains. Et sous le soleil de plomb du dimanche, certains commençaient à regretter de ne s’y être pas rendu en voiture. Des jeunes filles qui nous accompagnaient, disaient faire toute l’avenue sans soucis plusieurs fois par jours. «L’avenue commence par un hôpital et se termine par une prison », nous dit une jeune fille en y ajoutant une pointe d’humour «  si vous passez par les deux, c’est que vous avez tout vu de Sidi Bouzid ».  Sidi Bouzid n’est pas une grande ville, dans cette avenue se trouvent la maison de jeunes et des magasins. Les jeunes se retrouvent souvent ici pour se promener et tuer le temps, qui passe très lentement pour beaucoup d’entre-deux. Il s’agit de ceux qui n’ont ni travail, ni avenir clair, ni études à finir. Ils passent leur journée dans les cafés, taper dans un ballon,  traîner sur internet, ou traîner dans les parages. «Il n’y a pas assez d’investissements industriels à Sidi Bouzid. Rien qui puisse absorber toute cette jeunesse, regrette un homme, pourtant, ils ne sont pas bêtes ces jeunes », finit-il.

Pas loin, un homme criait : « Je suis pour la première fois fier d’être tunisien, dès que j’ai appris que nous étions enfin libres, je suis rentré au pays, célébrer ça. Nous sommes un peuple hors du commun. On s’entraidera et on réalisera des miracles, croyez moi ». Il est résident en France et fils de Sidi Bouzid.  Arrivés au théâtre municipal, une émotion  vive s’empare des visiteurs. Les gradins et le sol étaient noirs de monde, chantant en chœurs des chants de liberté. Tunisois et Bouzidiens s’étaient fondus dans la foule pour célébrer cette journée de remerciements, mais aussi pour partager un barbecue et fêter cette journée mémorable. Certains s’étaient même fait inviter à manger chez l’habitant. Sidi Bouzid, si elle est apparue le temps d’une journée, ensoleillée et fleurie, le quotidien n’y est pourtant pas rose. Ici, le chômage est une réalité affligeante, et la pauvreté et très répandue. Hier, les habitants de cette ville du centre de la Tunisie ont fait l’effort de faire abstraction de cette réalité, pour que la fête de la liberté soit entière. C’est ici que la révolution tunisienne a pris naissance, par le geste historique de Mohamed Bouazizi.  Et la Tunisie entière a essayé, à travers cette caravane de leur démontrer sa gratitude. Sur Facebook, ceux qui n’ont pas eu la chance de participer le dimanche dernier, demandent que l’expérience se renouvelle avec pour destination, Kasserine, elle aussi grande actrice de la révolution. Hier en quittant Sidi Bouzid, les jeunes criaient, « revenez souvent, ne nous oubliez pas ». Cet appel résonnait comme un cri de détresse d’une région oubliée par l’ancien régime, et méprisée par les investisseurs.
Chiraz Kefi








 

Commentaires 

 
#9 Ne me dites pas que c vrai?!
Ecrit par Dédé     14-02-2011 05:44
"dans sa principale artère baptisée « Avenue du Martyr Mohamed Bouazizi », prennent adresse toutes les administrations publiques et privées. "
Ne me dites pas qu'ils l'ont fait?
J'ai tendance à croire que ceci explique celà.
Le sous développement est dans les têtes avant qu'il ne soit ailleurs!
Les braves de Sidi Bouzid sont encore une fois manipulés et abusés.
 
 
#8 RE: Rendez-vous à Sidi Bouzid, berceau de la révolution
Ecrit par el manchou     10-02-2011 11:06
il faudrait construire des zone touristiques à sidi bouzid et y développer les pôles technologiques
 
 
#7 Impressionnant
Ecrit par JAWHAR     08-02-2011 16:17
Merci à ces jeunes pour cette initiative.
La vidéo de la caravane que j'ai regardée sur Nessma TV nous épargne de tout commentaire.
TRES IMPRESSIONNANT MERCI.
 
 
#6 Aberrant !!!!!!!!
Ecrit par Tahar     08-02-2011 15:45
A tout internaute conscient et à tous les facebookés : SVP faite circuler des messages d'apaisement d'explication que les demandes sont certainement légitimes. Mais si elles risquent d'amer le pays à la banqueroute et au chao, il vaut mieux les reporter.
 
 
#5 Aberrant !!!!!
Ecrit par Tahar     08-02-2011 15:25
Le peuple tunisien n'a malheureusement pas compris que ceux qui ont déjà une source de revenu ont le devoir de s'abstenir provisoirement de toute demande d'amélioration afin de favoriser le traitement des besoins des plus défavorisés et des chômeurs.
Autrement c'est leur sécurité directe qui sera en jeu.
Alors soyons tous responsables !
 
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