Programme politique d’Afek Tounes : "Plus jamais la présidence à vie"

Publié le Vendredi 16 Septembre 2011 à 13:00
Emna Mnif et Riadh Mouakher.En l’absence de son président, Mohamed Louzir, Afek Tounes a levé le voile devant la presse sur son programme politique, en attendant l’annonce la semaine prochaine de son programme socio-économique. Comme pour confirmer la collégialité dans la direction du parti, quatre de ses dirigeants se sont relayés à la tribune pour présenter la vision du parti de la nouvelle constitution, des priorités de l’assemblée nationale constituante et de la justice transitionnelle. C’était jeudi soir au siège du parti à Montplaisir.

Cette annonce est intervenue au lendemain de la présentation du programme électoral d’Ennahdha, auquel Afek Tounes se déclare totalement opposé. Yassine Brahim et ses coéquipiers étaient tellement affairés à mettre les dernières touches à leur programme qu’ils n’ont pas eu le temps d’examiner le programme de leur rival politique dans ses détails. C’était à peu près le sens de la réponse de l’ancien ministre à une question qui lui a été posée à ce sujet. "Tout naturellement qu’il y a des différences entre notre programme et celui d’Ennahdha, mais nous n’avons pas encore une position précise envers ce programme". Emna Mnif s’est, elle, déjà fait une opinion, "le régime parlementaire préconisé par Ennadha ne garantit pas l’alternance au pouvoir", dit-elle, relevant "l’absence du principe de séparation entre le politique et le religieux dans le programme d’Ennahdha".

"Il ne peut y avoir de sacralité dans le débat politique"
Afek Tounes prône une constitution qui consacre la citoyenneté, garante de démocratie, souligne en préambule Emna Mnif. Si le parti prône la séparation entre le religieux et le politique comme une constante de la constitution, "il ne peut y avoir de sacralité dans le débat politique", affirme la porte-parole du parti, il confère une certaine sacralité à la constitution, "quelque soit le régime ou le parti au pouvoir, la constitution ne peut-être touchée, sauf en cas d’une nouvelle révolution", affirme-t-elle. Dans les principes généraux de la constitution, le parti prône la liberté de culte, "tout Tunisien doit pratiquer sa religion en toute liberté, sans l’ingérence du politique", note Emna Mnif.  Elle énumère les autres constantes de la constitution comme le respect de l’Etat de droit, le pluralisme et les libertés politiques, la séparation entre les pouvoirs, l’égalité totale entre les citoyens, la liberté d’expression, la protection des données personnelles, la présomption d’innocence, la protection de l’intégrité physique des citoyens et la criminalisation de la torture.

Emna Mnif

En matière de droits fondamentaux et des libertés, Afek Tounes prévoit notamment la protection de la dignité de l’homme contre l’abus de pouvoir et l’oppression, la garantie du droit à l’enseignement, à l’emploi, à la santé et à l’habitat, la consolidation de la protection sociale, la liberté de rassemblement et d’association, la liberté syndicale, le droit à un environnement saint et l’interdiction de la déchéance de la nationalité.

Un régime parlementaire "mixte" et "rationalisé"
Afek Tounes affirme la souveraineté du peuple, édicte le principe d’alternance pacifique au pouvoir en limitant les mandats à deux, "pour rompre définitivement avec la présidence à vie", déclare Emna Mnif. Le programme du parti interdit le cumul des mandats dans la chambre des députés et les conseils municipaux, et prône le principe de décentralisation, en préconisant le découpage du pays en des régions dotées de prérogatives larges, et dirigées par des conseils régionaux élus.  

Afek Tounes préconise un régime parlementaire "mixte" et "rationalisé", avec un président de la République élu au suffrage universel dont les prérogatives sont limitées, et l'âge doit être supérieur à 40 ans et inférieur à 70 ans. Le chef de l’Etat ne peut postuler que pour deux quinquennats. Il désigne le Premier ministre, est le chef suprême des forces armées, a en charge la politique étrangère, et a la latitude de dissoudre le parlement, conformément à des conditions constitutionnelles. Le gouvernement est issu de la majorité parlementaire ; le Premier ministre a des prérogatives conjointes avec le Président de la République en matière de nomination des ministres de la Défense et des Affaires étrangères, la désignation des chefs suprêmes de l’armée, et des chefs de missions diplomatiques.

Afek Tounes prône un parlement bicaméral, avec une chambre des députés élue au suffrage universel, qui vote la confiance au gouvernement, et a la latitude de voter une motion de censure constructive, c'est-à-dire désavouer et renverser le gouvernement en place et désigner un chef du gouvernement pour en former un autre pour le remplacer. Une chambre des conseillers élue au suffrage indirect, représentant les régions.

Pour un gouvernement de justice
Afek Tounes s’engage dans son programme à instaurer un gouvernement de justice. C’est Riadh Mouakher qui en a décliné l’alpha et l’oméga. Il s’agit de garantir l’indépendance de la justice avec le contrôle du peuple, ainsi que l’indépendance du Juge de toute influence politique ou religieuse. Le parti s’engage à améliorer les conditions matérielles du juge, en préconisant un régime de rémunération des magistrats autonome de la fonction publique.

Le conseil supérieur de la magistrature doit être composé de 24 membres, dont 12 appartenant  au système judiciaire et 12 issus de la société civile, parmi des spécialistes des sciences sociales et juridiques. Le parti préconise la création d’un tribunal constitutionnel pour garantir la constitutionnalité des lois. Sa composition est mixte : 9 magistrats et 9 membres issus de la société civile, tous ont la qualité de magistrats. "Si la condamnation d’un magistrat est confirmée dans des affaires de corruption ou de malversation, il n’aura plus le droit d’exercer ni dans la magistrature ni dans le barreau", dit Riadh Mouakher.

Riadh Mouakher

Le tribunal constitutionnel doit examiner au préalable la constitutionnalité des lois. Les lois organiques et celles régissant les libertés doivent obligatoirement lui être soumises. Un citoyen a le droit de saisir le tribunal constitutionnel, à condition que sa requête soit basée sur un argumentaire sérieux. Le jugement du tribunal constitutionnel est contraignant pour l’ensemble des pouvoirs, explique-t-il.

Riadh Mouakher propose par ailleurs "de supprimer le service militaire obligatoire et d’instituer un service civique de trois mois pour les hommes et les femmes, avant l’accès au marché du travail. Il suggère de décréter le vote obligatoire".

"L’idée du référendum va tomber  à l’eau"

Yassin Brahim, directeur opérationnel d’Afek Tounes, a détaillé les priorités de l’assemblée constituante au cours des deux premières semaines. Il s’agit d’élire un président de la République et de désigner un gouvernement d’union nationale, de mettre en place un règlement intérieur, de former des commissions parlementaires spécialisées, de désigner un comité d’experts en droit constitutionnel et de fixer une feuille de route, et un calendrier de travail pour l’élaboration de la constitution.

La justice transitionnelle est la première priorité de la constituante, avec le lancement de trois grands projets sociaux ayant un impact sur l’emploi. Yassine Brahim critique sur ce point la prestation du gouvernement provisoire de Béji Caïd Essebsi, "qui n’a pas permis à une véritable justice transitionnelle de s’instaurer, depuis six mois qu’il est là".
La constituante est appelée, ajoute l’ancien ministre du Transport et de l’Equipement, à contrôler le gouvernement sur les sujets suivants : la dette extérieure, les orientations socio-économiques à long terme et la politique étrangère.

Yassine Brahim.

Dans son programme politique, Afek Tounes prévoit une durée de six mois pour l’assemblée constituante et propose le calendrier suivant :

*20 mars 2012 : référendum sur le projet de la constitution
*20 mai et 4 juin 2012 : les élections législatives et présidentielles
*23 septembre : les élections municipales

Yassine Brahim annonce, néanmoins, qu’Afek Tounes va signer la déclaration de transition démocratique adopté hier par la majorité des partis représentés à la haute instance. "Cette déclaration reprend de nombreux points prévus par notre programme, il n’y a pas de raison pour qu’on ne la signe pas", souligne le directeur opérationnel d’Afek Tounes, indiquant qu’avec cette déclaration, "l’idée du référendum va tomber  à l’eau".

Faouzi Ben Abderrahman

Au dernier volet de la conférence de presse, Afek Tounes a donné sa vision de la justice transitionnelle. Le but est de parvenir à une réconciliation nationale, en prélude à la construction de la deuxième République fondée sur la justice et l’égalité. "Le gouvernement n’a abordé ce dossier que sous les aspects judiciaire et pénal, alors qu’il devait être considéré sous ses aspects humain, psychologique et moral", dit Faouzi Ben Abderrahman. Il s’agit de juger tous ceux dont la responsabilité est prouvée dans la violation des droits, des libertés, et la spoliation des fonds publics. Afek Tounes appelle à réhabiliter matériellement et moralement les victimes de l’oppression et du despotisme, en érigeant des mémoriaux aux noms des martyrs, et en procédant à des jugements équitables, dans le cadre de procès ouverts au public et retransmis en direct à la télévision.  
H.J.



 

Commentaires 

 
#16 @zied
Ecrit par aziz aziz     20-09-2011 11:12
Allez les gars, soyez clément avec AFEK, ils ont quant même fait l’effort de présenter un programme en arabe....même si sur la photo E. Mnif semble regarder le rétroprojecteur et se demander ..: c’est quoi se chinois ?
 
 
+4 #15 Bravo!
Ecrit par Pessim     20-09-2011 08:53
Je les ai écouté à Paris dimanche dernier à l'institut du monde Arabe, et malgré mon pseudo, ils m'ont donné plus qu'une note d'espoir; je me suis senti fier d'être tunisien. Bravo AFEK, Bravo à ces jeunes avec de la compétence, positifs, et sans aigreur aucune, je vote pour vous!
 
 
+2 #14 Analyse et contre-propositions
Ecrit par Tunisien fier     18-09-2011 16:31
- la séparation entre le religieux et le politique, pas de sacralité dans le débat politique, la liberté de culte : Oui.
- la garantie du droit à l’enseignement, à l’emploi, à la santé et à l’habitat, ... et l’interdiction de la déchéance de la nationalité : oui. Afek est l'un des rares à parler du droit à l'habitat et l'interdiction de la déchéance de la nationalité. Bravo
- principe de décentralisation : Oui. On ne veut plus des omdas, délégués, gouverneur nommés. Ces structures et leurs prérogatives sont à revoir. L’exécutif à tous les niveaux (commune, délégation, gouvernorat, région) doit être élu.
- président de la République élu au suffrage universel : OUI
- prérogatives du président sont limitées : OUI. Le président peut être le chef des armées et des affaires étrangères. Il peut être une force de proposition pour les autres sujets.
- le président désigne le Premier ministre : Pas d’accord.
- Le gouvernement est issu de la majorité parlementaire : D’accord sur le fond
La proposition d’ Afek génère un exécutif « instable » : le premier ministre (choisi par le président) est le patron des ministres choisis par le parlement. L'exécutif ne sera pas gouvernable !!!
Autre proposition : Le parlement choisi le premier ministre … qui compose une équipe … qui est validé par le parlement.
- le président a la latitude de dissoudre le parlement : Oui mais … Il ne faudra pas permettre au président seul de dissoudre tous les matins le parlement ! Proposition : il faut que la volonté du président soit appuyée par le peuple et/ou le parlement et/ou les élus locaux (bon dosage à trouver).
- Une chambre des conseillers élue au suffrage indirect : Pas d’accord de reproduire un système que les français cherchent à changer.
On a besoin d’avoir des élus locaux :
* commune : chaque commune a droit à des représentants élus,
* un autre niveau : délégation ou gouvernorat (à voir)
Autre proposition : Les représentants du peuple dans la structure « région » peuvent être élus directement par le peuple. Les candidats étant uniquement les élus au niveau commune et délégation/gouvernorat.
- garantir l’indépendance de la justice avec le contrôle du peuple : OUI .. mais comment le peuple peut contrôler le bon fonctionnement de la justice ?
- supprimer le service militaire obligatoire : oui. On arrêtera ainsi la menace qui a toujours pesé avec BEN ALi sur les jeunes opposés au gouvernement.
- décréter le vote obligatoire : pas d’accord. On envoi en prison ceux qui ne votent pas … ou on les prive des aides sociales ??
- La constituante est appelée à contrôler le gouvernement : Pas vraiment d’accord. La constituante doit choisir un président et un gouvernement temporaire une fois pour toute … et s’occuper de rédiger une constitution sous 6/12 mois . .. et la soumettre à l’aval du peuple.
- "La justice transitionnelle est la première priorité de la constituante" : Pas forcément d'accord. Comment peut-on rédiger et négocier avec les autres élus la constitution ... tout en s'occupant de la justice (dossiers : la corruption, les martyrs, etc) ... en 6 mois ?
- Il y a d'autres aspects qui ne sont pas traités par Akek:
* position vis à vis de Israel: peut-on avoir des relations économiques ? diplomatique ? Pour moi, la réponse est NON.
* Position vis à vis du sionisme.
* Comment se fera le partage des richesses produites ? Comment assurer aux plus faible de vivre décemment ?
- Il y a d'autres aspects que personne n'a abordé :
* Règles pour les futures élections présidentielles/législatives/etc ?
* Quelle structure gèrera demain les élections : Je proposerai de maintenir la structure de l'ISIE et avoir toujours des élections non gérés par l'exécutif ... mais par l'ISIE sous contrôle du conseil constitutionnel.
 
 
+8 #13 Non à la chambre des conseillers
Ecrit par Tounsi2     16-09-2011 23:14
Yezzina min la chambre des conseillers qui va bouffer des dizaines de milliards de budget annuel pour rien sauf pour ceux qui en profitent.
Il vaut mieux consacrer cet argent pour la recherche scientifique.
Bien sûr la chambre des députés reste indispensable, qu'il faudra renforcer davantage.
 
 
-4 #12 RE: Programme politique d’Afek Tounes : "Plus jamais la présidence à vie"
Ecrit par Hédi     16-09-2011 20:37
"Plus jamais de présidence à vie"
Ca me rappelle un certain "lé ri2essa mada l7ayet, lé ri2essa mada l7ayet" looooooooooool. Après Ennahdha et son programme pour l'emploi, Afek reprend un slogan ZABAtiste. Bientôt on verra Ettakatol promettre le "changement pour la tunisie de demain", et le Pole Moderniste déclarera vouloir réprimer les salafistes qui foutent la pagaille..."bi koli hazm"

ps: personnes ne connaissant pas le second degré s'abstenir.
 
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