Le bâtonnier : "Experts Comptables/Avocats : Chacun sa profession"

Publié le Mercredi 11 Mai 2011 à 12:15
Le bâtonnier  Abderrazak KILANI.Abderrazak KILANI, bâtonnier du Conseil de l’Ordre National des Avocats, nous a fait parvenir une tribune, où il analyse la portée du projet d’amendement de la loi réglementant la profession d’avocat "qui semble susciter des réserves de la part de certains". Ci-après le texte intégral.
 
 Par Abderrazak KILANI*
 

Le projet d'amendement de la loi 87-89 du 07/09/1989 réglementant la profession  d'avocat, semble susciter des réserves de la part de certains qui n’ont pas intérêt à ce que cette profession occupe dans notre pays la place qui lui revient dans un climat de légalité et de liberté.
"De la dictature de Ben Ali à la dictature des avocats", entend-t-on. Des "sit-in" en protestation et les chahuts fusent dans tous les sens. L'article 2 dudit projet dérange !  

On crie au feu, on clame le drame, on craint la détresse !! Ces craintes qui cachent souvent des intérêts illégitimes, sont infondées et ceux qui se sont ingéniés à les exprimer sous des formes diverses, semblent avoir oublié la règle de bon sens qui commande que chacun exerce sa profession. Oui, chacun sa profession ! Il suffit de revenir à ce dicton pour que tout soit clair et pour que le débat soit dépassionné.

La profession d’avocat est des plus anciennes et des premières à avoir été réglementées. Cette noble profession, symbole de l'Etat de Droit, synonyme de la liberté, n'a pas été bien perçue dans les Etats totalitaires. Elle a  été marginalisée sous l’ancien régime, marqué par le mépris du droit et le règne du non droit.

L’hostilité vis-à-vis des avocats dont la profession est un rempart contre l’arbitraire, ne s'est jamais cachée. Les avocats agissaient pour la défense des droits de l’homme et des libertés, mais leur statut stagnait. Ceci explique cela.   

La  marginalisation des avocats a permis à d'autres professions organisées et non organisées d’empiéter sur les compétences naturelles de l'avocat. En fait, la profession d'avocat n'a pas cessé d'être agressée avec l’accord tacite des autorités qui avaient choisi de laisser faire.
Avec la révolution, le retour à la légalité s’impose. Que chacun exerce sa profession, en respectant les limites de sa compétence.

Il est impératif aujourd’hui de rappeler les différences entre la profession d’avocat d’une part et celle d’expert comptable et de commissaire aux comptes d’autre part. Les frontières entre ces deux professions, que d’aucuns semblent avoir oubliées ou vouloir oublier, sont pourtant des frontières sûres et incontestables. Il suffit de revenir aux textes pour les déterminer. En effet, l'article 2 de la loi 88-108 du 18 août 1988, relative à la profession d’expert comptable définit son champ d’action, en déclarant que l’expert comptable fait profession habituelle d'organiser, de vérifier, de redresser et d'apprécier les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n'est pas lié par un contrat de travail.

Il est également habilité à attester la sincérité et la régularité des comptabilités et des comptes de toute nature vis-à-vis des entreprises qui l'ont chargé de cette mission à titre contractuel ou au titre des dispositions légales et réglementaires et notamment celles relatives à l'exercice de la fonction de commissaire aux comptes de sociétés.
L'expert comptable peut aussi analyser, par les procédés de la technique comptable, la situation et le fonctionnement des entreprises sous leurs différents aspects économique juridique et financier…" ( c’est nous qui soulignons) .

L'avocat, lui, est d'après la loi de 1989, le professionnel du droit ; Il "représente les personnes physiques et morales, les assiste et les défend auprès de toutes les instances judiciaires, administratives et disciplinaires et donne les consultations juridiques".
La clarté des deux textes précités n’autorise et ne devrait autoriser aucun empiètement d’une profession sur l’autre.

Il est vrai que le second alinéa de l’article 2 définissant la compétence de l’expert comptable autorise celui-ci à analyser la situation et le fonctionnement des entreprises sous leurs différents aspects, y compris l’aspect juridique ; mais il faut se garder d’utiliser ce texte d’une manière abusive et d’y puiser un prétexte pour que l’expert agisse en dehors du champ de sa compétence. Analyser « par les procédés de la technique comptable » la situation des entreprises ne veut pas dire donner des consultations juridiques et ne saurait signifier rédiger des actes juridiques (contrats, statuts, P.V d’assemblées, de CA, protocole de fusion et autres actes juridiques). Pourtant beaucoup l’ont fait par le passé. Ils se sont permis d’occuper le terrain de ceux qui ne pouvaient trouver dans l’appareil de l’Etat pendant 23 ans aucun appui pour imposer la légalité.

Il va sans dire que les consultations juridiques et la rédaction des actes ne relèvent pas des prérogatives de l’expert comptable et il est temps aujourd’hui que l’on mette un terme aux tendances hégémoniques que la profession d’avocat  a subies dans ce domaine au mépris des textes et de la raison.

En effet, l’avocat est par définition juriste. C’est un professionnel du droit. Il ne fait que du droit. Sa formation juridique a un caractère principal. Elle n’est pas l’accessoire d’une formation comptable, à la différence de la formation de l’expert et des autres professionnels non juristes, qui revêt un caractère subsidiaire, destiné à leur permettre d’agir dans un cadre légal.
On ne déforme nullement la légalité en affirmant haut et fort que l'expert comptable n'est pas juriste. Certes, les experts comptables reçoivent dans les écoles de comptabilité une formation leur permettant de comprendre le cadre juridique dans le quel ils sont appelés à intervenir en tant qu’experts, mais cette formation demeure partielle et n’est pas destinée à faire de ses bénéficiaires des juristes à part entière.

A ce propos, l’on sait que les facultés de médecine assurent une formation des médecins en mathématiques, en chimie ou en physique, sans leur conférer pour autant la compétence requise pour exercer des professions autres que la profession médicale. Les médecins n’ont jamais prétendu être des physiciens, des chimistes ou des matheux.

Dans les facultés de droit, les étudiants reçoivent une formation en comptabilité. Aucun avocat cependant, n’a prétendu pouvoir tenir la comptabilité des entreprises ou auditer leurs états financiers : Chacun son métier.

La spécialisation est dans l’intérêt du client : l’avocat est un professionnel spécialisé en droit. Son rôle est double : un rôle préventif et un rôle curatif. Ces deux rôles sont  intimement liés.
Sur le plan préventif : l’avocat est le mieux placé pour assister, conseiller son client et rédiger ses contrats. Conseiller une entreprise lors de la rédaction d'un contrat ou de l'élaboration des statuts, c'est concevoir un acte adapté aux besoins spécifiques de chacun (investisseur local ou étranger, actionnaire majoritaire ou minoritaire, partenaire technique ou bailleur de fonds, noyau dur ou épargnant à la recherche d’un placement).

Sur le plan curatif : l’avocat traite le contentieux. Il est également appelé à négocier pour le compte de son client des règlements à l’amiable qui se soldent par la rédaction d’actes. Ces actes qui sont appelés à se développer dans la Tunisie de demain où le droit sera de plus en plus sûr et prévisible, ne peuvent être établis que par un juriste à part entière, appartenant à la profession d’avocat et présentant toutes les garanties de compétence et de responsabilité.

Les deux rôles de l’avocat sont liés : lorsque l’avocat conseille son client ou traite ses litiges, il le fait en connaissance de cause ( connaissance personnelle de la jurisprudence, contact quotidien avec les juges, connaissance de la doctrine, production d’articles de doctrine et de commentaires de jurisprudence  etc. …. ); à la différence de l’expert dont la profession ne permet pas d’acquérir cette expertise juridique et même si l’expert parvient occasionnellement à connaître de ces problèmes, sa connaissance demeure occasionnelle, partielle et insuffisante.

L'avocat est garant de la sécurité juridique : En tant que juriste à part entière consacrant tout son temps à l’exercice de sa profession, l’avocat est censé connaître le droit dans tous ses aspects et avec tous ses détails (textes, jurisprudence, doctrine, pratique administrative etc. … ). Cette connaissance est de plus en plus réelle aujourd’hui avec la spécialisation que l’on observe sur le marché et qui fait de l’intervention de l’avocat un impératif incontournable en termes de sécurité juridique. Dans toutes les professions, on ne peut se fier à la compétence certaine des professionnels et cette compétence ne devrait pas être susceptible de plus et de moins. Il faut qu’elle soit pleine et entière.
 
Force est ainsi de reconnaître que chacun doit exercer pleinement son métier et rien que son métier. Les empiètements et débordements sont nocifs pour tout le monde et le client en est souvent le grand perdant. Le rôle de l’Etat est de veiller à ce que ces règles soient clairement établies et pleinement respectées.
 
* Bâtonnier du Conseil de l’Ordre National des Avocats de  Tunisie


 

Commentaires 

 
#23 Re à n°18
Ecrit par Avocat tunisien     18-05-2011 00:11
الى المحترم المتدخل رقم 18 الذي وصف نفسه بصاحب مؤسسات و الذي تدخل كشاهد على العصر للحط من قيمة المحاماة ، مثلك عار على تونس ، مثلك يدرك دور المحامي عند حصول مكروه و عند المحن و الشدائد ، ليس المحامي بارعا فقط في الطلاق يا سيدي ، أنت تكن حقدا و حسدا على المحاماة لأنك في أعماقك تتمنى لو كنت تستطيع أن تكون محاميا ، أنت الذي تعجز عن ارتجال سطر ، يا من تدعي أنّ لك خبيرا محاسبا و مراقب حسابات
 
 
#22 RE: Le bâtonnier : "Experts Comptables/Avocats : Chacun sa profession"
Ecrit par el manchou     15-05-2011 16:16
bataille de chiffonnier, il faut libéraliser le secteur et que le meilleur gagne, marre de ces conflits corporatistes
 
 
#21 Les avocats veulent piquer les parts du gâteau des autres
Ecrit par hannibal     14-05-2011 13:54
En cette période délicate de la Tunisie, chacun essaie de prendre la plus grosse part du gâteau quitte à voler celle des autres.

Donnons la parole aux chefs d'entreprise (grandes, moyennes et petites), écoutons les experts du domaine, faisons une étude approfondie en analysant les pros et cons de chaque scénario ... appliquons une "vrai" démocratie ... avant de légiférer.

Par ailleurs, il y a plein d'autres sujets à traiter en urgence aujourd'hui avant de se pencher sur ce sujet: la sécurité (vol, meutre, braquage, etc), prisons (tout les criminels sont dehors), l'emploi (250 chomeurs de plus chaque jour), les examens scolaires, l'économie, les prochaines élections, les grèves, notre voisine "la libye", etc ..
 
 
#20 Ce n'est pas du Copier/Coller
Ecrit par Mohamed     12-05-2011 20:04
La rédaction d'actes de sociétés (notamment les statuts) n'est pas une simple question d'alignement de lignes ou de phrases, auquel cas il suffirait de faire du Copier/Coller à partir des actes types mis en ligne gratuitement ou bien de reproduire de manière quelconques des extraits du code des sociétés commerciale et du code des obligations et des contrats. Il s'agit plutôt d'adapter les clauses fondamentales sources au cas spécifique de chaque société, en sachant bien déchiffrer les stipulations légales et, surtout, EN AYANT EN MEMOIRE LES CAS PRATIQUES DE CONFLITS DECOULANT DE CES CLAUSES ET D'AUTRES AU VU D'ANTECEDENTS JUDICIAIRES. De ce point de vue, l’avocat est inégalable (nonobstant l’avis des sceptiques et des concurrents).

Pour s’en convaincre davantage, il suffit d’assister aux audiences des chambres commerciales près les tribunaux pour constater le nombre incalculable de litiges liés au mauvais libellé des statuts et des autres actes de sociétés.

Ce n’est donc moins une question de corporations qu’une question d’aptitude professionnelle et de fiabilité juridique.
 
 
#19 pourquoi l'article dérange
Ecrit par amine jamoussi     12-05-2011 18:18
Pourquoi l’article 2 du projet des avocats dérange
En lisant l’article publié sur les colonnes de « le temps » en date du 11/05/2011 sous le titre « chacun sa profession » écrit par Monsieur le bâtonnier des avocats une sensation de malaise m’a prise. Une sensation qui provient notamment du fait que Monsieur le bâtonnier défend un projet d’amendement qui ne touche pas uniquement les experts comptables mais également les comptables, les conseillers fiscaux, les huissiers notaires, les notaires, les agents immobiliers….
Bien de professions pour que ça soit résumé en un conflit experts comptables - avocats.
Sans rentrer dans l’encensement ou le dénigrement des professions, j’aimerais remarquer qu’il est vrai que la profession des avocats est noble comme tout travail non contraire aux bonnes mœurs ou à la réglementation. Il est toutefois bon de rappeler que les avocats défendent, de par le fondement de la justice l’indéfendable : les trafiquants, les tueurs, les dictateurs ; mais également les autres professions le font. Donc arrêtons l’encensement inutile.
Concernant le projet d’amendement et notamment l’article 2 « qui dérange », il prévoit en gros que les avocats sont les seuls habilités à rédiger des actes de constitution des sociétés, procès verbaux et tous genre d’actes à caractère juridique.
Mr le bâtonnier a inclus cette prérogative dans la compétence exclusive des avocats en se basant sur l’interprétation des articles définissant le champ d’intervention des avocats et des experts comptables. Toutefois, en lisant ces deux définitions on ne voit ni dans l’un ni dans l’autre l’attribution de rédaction des actes.
Ceci ne provient pas d’un oubli ou d’une manipulation du législateur mais plutôt, à mon avis, elle constitue une conséquence du fait que les actes donnant naissance à des obligations et des droits peuvent revêtir soit la forme d’acte authentique (rédigé par des notaires) soit la forme de contrat sous seing privé (rédigé librement par les parties ou par n’importe qui non spécifiquement habilité par la loi à le faire).
Ainsi, affirmer que la rédaction des contrats est de la seule compétence des avocats du fait de leur formation constitue telle une entorse à cette définition d’acte sous-seing privé (statuts, procès verbaux, contrat de travail, protocole de fusion….)
Aussi, l’article 2 de ce projet ne limite-t-il pas la liberté de l’investissement et des échanges économiques par le fait de créer un monopole, sans précédent dans le monde capitaliste, et n’augmenterait-il pas sensiblement le coût des constitutions et autres opérations sur le capital ainsi que des opérations de restructuration tout nécessaires à notre économie.
Que ferait alors un jeune promoteur qui a aujourd’hui la possibilité de créer sa société à l’agence de promotion de l’industrie sans frais autres que les frais légaux ?
Que ferait un investisseur étranger habitué dans son pays à créer une société par internet sans passer par un notaire, avocat ou expert comptable en l’obligeant à passer par un corps de métier dont une bonne partie des membres ne sont pas spécialisés dans le droit des affaires.
Quid des services juridiques des sociétés tunisiennes en activité à qui leur direction confie, entre autres, la rédaction des actes sous seing privés et dont les salariés ne sont pas tous inscrits au tableau de l’ordre national des avocats ?
La question n’est pas donc de clamer haut et fort que l’expert comptable n’est pas juriste mais plutôt est ce que rédiger des actes sous seing privés nécessite un professionnel de droit ou plutôt, comme le comprendrait le commun des mortels de la définition d’un acte sous seing privé, c’est un contrat écrit librement par les parties.
D’un autre coté, aucun expert comptable qui se respecte ne percevrait des honoraires pour un conseil juridique car le conseil juridique est de la compétence exclusive des professionnels du droit mais il se doit de prodiguer des conseils préliminaires à ses clients de par sa formation et son mandat juridique et financier.
Egalement, il est vrai que la loi accorde au professionnel de la comptabilité une exclusivité des en matière comptable mais cette exclusivité ne fait pas entrave à la liberté d’investissement car chacun est libre de tenir sa comptabilité, d’arrêter ses états financiers, de payer ses impôts sans faire recours à un corps de métier particulier.
L’intervention du professionnel de la comptabilité est nécessaire pour garantir la fiabilité de l’information produite par l’investisseur concerné et assurer ses partenaires quant à sa santé financière.
En aucun moment, l’intervention d’un corps de métier quelconque dans la rédaction des actes ne saurait donner une fiabilité accrue du moment qu’il s’agit d’un consentement des deux parties régissant leurs intérêts à eux.
D’ailleurs, le législateur qui, étant plus ou moins harmonieux, a accordé des délais de régularisation en cas de faute grave entachant la constitution des sociétés pour laisser cette étape facile d’accès à tout citoyen.
Notre Patrie a longtemps souffert à cause des dérives de ses enfants avides et profiteurs.
Elle a également toujours donné naissance à des enfants valeureux reconnaissants et sages.
En ce moment charnière de son histoire, Notre Tunisie a besoin d’abnégation, de sagesse et de cohésion.
Donnons lui ce qu’elle mérite, nos enfants nous en remercieront.
 
Ces commentaires n'engagent que leurs auteurs, la rédaction n'en est, en aucun cas, responsable du contenu.