Le drame écologique du Golfe de Gabès raconté sur Arte

Publié le Mercredi 18 Avril 2018 à 16:28
Arte a consacré hier, mardi 17 avril, sa soiréeThéma à la Méditerranée. Sous l’intitulé, "la Méditerranée va-t-elle passer l’été", la chaîne franco-allemande a évoqué les redoutables menaces écologiques qui pèsent sur la Mare nostrum.

"La Méditerranée est en danger, la principale menace, c’est nous qui sommes toujours nombreux à se bousculer sur ses rives", c’est en ces termes que commence l’émission, qui a fait un état des lieux écologique sur les deux rives Nord et Sud, en s’attardant sur la situation dramatique du Golfe de Gabès, du fait des industries polluantes du groupe chimique tunisien (GCT), et du problème du phosphogypse. Gnet reprend de larges extraits de cette émission qui alerte sur un danger imminent dans le bassin méditerranéen, et décrit la souffrance de nos compatriotes de Gabès dont la vie est gâchée par la pollution.

"La Méditerranée représente 1 % des océans dans le monde et 10 % de la biodiversité marine. C’est une mer d’une richesse exceptionnelle, qui  attire les activités économiques, mais personne n’en prend soin", souligne Pascal Canfin, directeur Général WWF France. Elle est en danger du fait des pressions démographique, du tourisme de masse, du bétonnage et de la pollution.

"La méditerranée est une mer fermée, la moindre catastrophe écologique ne dure pas 15 ans, mais 100 ans et 200 ans", dit l’ex-ministre de l’Ecologie, la Française Corine le Page, ajoutant : "je n’ai jamais vu un cas où l’intérêt écologique l’a emporté sur l’intérêt économique".

Pascal Canfin appelle à arrêter "cette fuite en avant car tous les indicateurs sont au rouge".

La méditerranée est au bord du Burn Out
Signe et non des moindres de la dégradation de cette mer, "la sardine emblème de la méditerranée et de sa cuisine. Depuis peu, cette espèce est menacée, elle a perdu 30 % de sa taille et de son poids et vit cinq fois moins longtemps a cause de la pollution et du réchauffement climatique".

"Le tourisme est l’un des maux de la méditerranée. Chaque été 300 millions de personnes s'y disputent un coin de sable".

Selon Pascal Canfin, "l’été est la période de l’année où il y a plus de pressions sur l’écosystème, notamment à cause du développement touristique", la méditerranée étant la première destination touristique au monde.

"Un tourisme de masse qui défigure les paysages côtiers, appauvrit les ressources de la mer et aggrave la pollution de l’air et de l’eau, continue à se développer à un rythme inquiétant.  En 2030, 200 millions de touristes supplémentaires se presseront autour de la méditerranée". 

Le développement du tourisme de croisière est-il aussi l’une des sources d’inquiétude. "Le nombre des touristes de croisière s’est multiplié par 4,5, ces 20 dernières années. Les croisières se sont démocratisées et les croisiéristes construisent des navires toujours plus grands pour attirer une clientèle toujours plus large. Les Etat riverains se battent pour capter cette nouvelle manne. Près d’une centaine de ports accueille des paquebots en méditerranée".

"L’Espagne est le pays qui a misé le plus sur la croisière, elle compte, à elle seule, 24 ports et Barcelone s’est hissée au premier rang en quelques années seulement".

"De Venise à Barcelone en passant par Santorin, les populations s’insurgent contre cette invasion".

Industries polluantes

"Raffinerie et produits dérivés du pétrole, industries chimiques ou sidérurgiques, toutes ces usines restent actives autour de la méditerranée, malgré leur mauvaise réputation environnementaleé, selon le reportage. 

"Au Nord, les usines vieillissantes sont mieux encadrées mais les réglementations ne sont pas bien respectées et les polluants continuent à affluer par des cours d’eau. Au sud la pression écologique s’est beaucoup aggravée avec le développement économique".

"Les industries polluantes s’y sont relocalisées comme en Libye, en Algérie et en Tunisie dégradant un environnement jusque-là préservé".

La Tunisie, connue pour son soleil, ses plages est ses oasis, a été toujours une destination bon marché pour les européens.

"Au sud du pays, à 80 km des plages de Djerba, le site industriel de Gabès exploite la principale source naturelle de Tunisie, le phosphate. Il sert à fabriquer de l’engrais qui sera exporté en Europe et dans le monde entier, une source de divise capitale pour la Tunisie dont l’économie est fragile".

"A Gabès, tout a changé lorsque l’Etat a choisi d’implanter une usine d’engrais en 1972. Depuis d’autres usines chimiques se sont installées et le site s’est agrandi".

"Lorsque les usines ont démarré, les gens étaient très contents de voir une industrie dans une région purement agricole, ils n’avaient aucunement conscience des  problèmes environnementaux", souligne Taoufik Djmel, directeur d’usine du groupe chimique tunisien (GCT), montrant le canal de décharge qui rejette l’eau de refroidissement et le phosphogypse, "ça part dans la mer", a-t-il lancé. 

"Le phosphogypse est le rebut de l’exploitation du phosphate. On y trouve des résidus de métaux lourds, de l'acide fluorhydrique, du souffre et de petites quantités de matières radioactives comme l’uranium ou le radium. 

Chaque jour l’usine jette 6 mille tonnes de ce poison dans la mer sans aucun traitement via la plage de Chott Assalem".

"Situé entre l’usine et la ville et bordée par une palmeraie unique sur la côte méditerranée, cette plage était un lieu de villégiature jusqu’à ce que la pollution en chasse les habitants".

Amine Hamrouni, électricien au GCT, fils d’une famille de pêcheurs, témoigne : "Tout est devenu noir, il n’y a plus rien. Le sable a changé de couleur. Ici scientifiquement parlant, on est six mètres plus haut que la surface d’origine de la plage. Celle-ci était le rêve de tous les pêcheurs, car il y avait beaucoup de poissons. Les gens travaillaient pour la plupart dans la pêche. Ils travaillaient en famille, c’était comme ça dans ma famille", relate Amine en peinant à retenir ses larmes.

Biodiversité exceptionnelle du Golfe de Gabès
"En 1970, le commandant Cousteau avait  remarqué la biodiversité exceptionnelle du Golfe de Gabès, une zone riche en posidonie et en plancton où plus de 200 espèces de poissons venaient se reproduire. Un paradis pour la pêche".

"Autrefois, des centaines de bateaux jetaient leurs filets au large de la plage. Il ne reste plus qu’une quarantaine. Les rares pêcheurs a ne pas abandonner ont du investir dans des bateaux plus grands pour aller pêcher plus loin de la pollution. Les fonds marins sont anéantis sur des kilomètres".

"Maintenant, il n’y a plus de vie dans le Golfe de Gabès, cette usine est un monstre. Elle a tué tus nos rêves", lance un pêcheur.

"Il n’ y a pas que la mer qui est souillé par la zone industrielle mais tout le monde sait que le pôle chimique ruine l’environnement et la vie des habitants".

"Les usines du site puisent abondamment dans les nappes phréatiques et rejettent dans l’atmosphère quantité de gaz et de particules toxiques. Les palmeraies qui entourent la ville sont en danger et nombre de riverains ont renoncé à cultiver leur lopin de terre".

"Sous le régime autoritaire de Ben Ali, le sujet était tabou, personne n’osait parler de l’entreprise publique qui gère le site et apporte de précieux revenus à l’Etat. Depuis la révolution de 2011, rien n’a changé et l’usine procède régulièrement à des largages massifs de gaz toxiques".

"La colère a surmonté la peur"
"Avec la fin de la dictature, la colère a surmonté la peur et les riverains de l’usine se mobilisent.

De nombreux collectifs citoyens se sont constitués pour recueillir la parole des victimes et tenter d’obtenir la fermeture immédiate de toutes les unités polluantes du site".

Khayereddine Debaya, du Collectif Stop Pollution, évoque "des enfants qui naissent avec des malformations, des gens qui ont de l’ostéoporose, du cancer et qui souffrent de toutes sortes de maladies".

"L’été, les habitants qui vivent près de l’usine ne peuvent même pas aérer leurs maisons. Ils doivent laisser les portes et les fenêtres fermées en permanence. C’est un crime, ce n’est pas une situation sanitaire normale", s’est-il élevé. 

Les autorités ne reconnaissent pas leur responsabilité dans ce drame de santé publique. Pour le gouverneur de Gabès, Mongi Thameur, "sur le plan purement scientifique, rien ne prouve cette relation dialectique entre l’environnement et la santé. Peut être que nous n’avons pas poussé les recherches et les études, on va le faire", dit-il. 

"Il y a eu des médecins qui ont tenté de travailler sur cette question avant et après la dictature, mais ils ont été renvoyés ou mutés", dit Khayereddine Debaya.

"Au début de l’été 2017, la population s’est encore une fois rebellée. A l’origine de la colère, la promesse non tenue par le gouvernement de mettre fin au rejet de phosphogypse dans la mer".

"Le gouvernement promet de régler le problème d’émission des gaz toxiques dans les deux ans à venir, et s’engage à déménager toutes les unités polluantes d’ici huit ans".

"Dans peu de temps, 8 ans et demi au maximum, le problème sera résolu sur le plan environnemental, et les  pêcheurs vont partir à la pêche tranquillement," assure le gouverneur. 

"Tout au long de ces dernières années, les promesses n’ont pas été tenues et le calendrier n’a pas été respecté", rétorque K. Debaya, réclamant "des garanties et des dispositions qui engagent le gouvernement".

"Au-delà des promesses, c’est l’argent qui risque de manquer. Le déménagement des installations a été chiffré à un milliard cent millions d’euros. Le Groupe chimique tunisien qui traverse une crise majeure a déjà annoncé qu’il ne pourra pas le financer seul, l’Etat non plus".

"Nous comptons sur nos amis de l’Union européenne et de la Méditerranée, je suis sûr que des dons vont être investis pour ce projet-là", indique le gouverneur, face à une population désabusée, et lasse des promesses non tenues.
Gnet

*La partie consacrée à la Tunisie diffusée hier dans la soirée pour la première fois, a été filmée entre février et juin 2017.

*Les photos qui illustrent cet article sont des captures écran prises dans le film, et concernent Gabès.

 
 
 
 
 












 

Commentaires 

 
#1 RE: Le drame écologique du Golfe de Gabès raconté sur Arte
Ecrit par Sherlock Homs     19-04-2018 17:54
La situation de Gabès est à l'image de la situation catastrophique des ordures, immondices et autres pollutions solides, liquides et sonores qui inondent peu à peu tout le pays...
C'est dans la tête qu'il faut "dépulluer" des esprits négligés, nonchalants, indolents et quelque part pervers qui sont à l'origine d'une horreur qui ronge aussi bien le littoral, le tissu urbain et les zones rurales...
 
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