La Tunisie, seule rescapée au milieu des tragédies arabes ?

Publié le Mardi 25 Mars 2014 à 17:50
Le langage de la raison a fini par triompher en Tunisie. Une transition démocratique n’est jamais simple. On ne passe pas de la dictature à la démocratie par un simple claquement de doigts. C’est un processus long et laborieux, émaillé d’impondérables et d’inconnus. Excepté la Tunisie, les pays du printemps arabe en donnent la triste démonstration. L’espérance populaire vire, chez eux, en un deuil permanent, avec le tournant conflictuel qu’ont pris d’aussi tôt leur processus révolutionnaire.

L’exemple égyptien est illustratif de la profondeur du déclin, dans une grande nation arabe, où l’œuvre de démocratisation a tourné court.  Le pouvoir militaire sème la terreur, et s’affranchit de toute humanité et toute éthique, en faisant vivre aux Egyptiens une ère encore plus cauchemardesque que celle qu’ils ont vécue sous Moubarak.  

Au-delà de l’indignation et du choc qu’a provoqué, un peu partout dans le monde, le jugement à la peine capitale prononcé par un tribunal égyptien contre plus de 500 sympathisants de Morsi, surgit une interrogation lancinante. Pourquoi le destin des pays arabes est-il si tragique ? Qu’est-ce qui fait que cette région rate une occasion historique si cruciale, celle des révolutions,  pour amorcer une renaissance globale, longuement attendue par les peuples ?

Incontestablement, les réalités arabes sont multiples et complexes. A chaque pays ses spécificités, son histoire, son poids, sa structure sociétale, et son positionnement géostratégique. Différente est aussi la perception faite de ces pays de l’extérieur, notamment de la part des grandes puissances. Même si on n’a pas toutes les données qui le prouvent, et tous les arguments qui l’étayent, on a du mal à penser que les pays du printemps arabe sont au stade de la décision souveraine, et échappent à toute ingérence extérieure, directe ou indirecte.

Autre facteur qui handicape ces pays, et bride leur élan pour un changement salvateur, a trait à leur attachement au dogme et ses corollaires, le rejet de la différence et le déficit en matière de culture du dialogue. D’où la polarisation idéologique entre islamistes et laïcs ayant succédé aux révolutions, qui n’a fait qu’aiguiser les tiraillements politiques, exacerber les fissures au sein de ces sociétés, et les détourner des problèmes de fond à cause desquels la vague de soulèvement populaire a été déclenchée, en l’occurrence, la lutte contre la pauvreté et le chômage, le développement économique, la justice sociale, bref la consécration des attributs d’une vie digne.

L’adversité politique ne signifie pas inimitié

La Tunisie n’a pas été à l’abri de la polarisation, qui était à une certaine période si vive, que la société était menacée de délitement, et que le spectre de la guerre civile rôdait dangereusement. Conséquence : les problèmes socio-économiques et sécuritaires auxquels le pays est confronté, ont redoublé d’acuité. Que de temps et d’énergie dépensés dans le conflit et les querelles politiciennes, dans une tentative, patente ou latente, de chaque camp de dénier toute légitimité à l’autre, et de l’annihiler, politiquement du moins.

Heureusement, que le langage de la raison a fini par prévaloir, et que les différentes parties ont fini par s’asseoir autour de la table du dialogue pour parvenir à une solution plus ou moins consensuelle, ayant permis au pays de sortir de la zone de turbulences.

Ce pas positif reste limité, et l’ampleur des défis nous oblige à tempérer nos ardeurs quant à l’exception tunisienne. Le tout est de tirer les enseignements des premières années de la révolution, d’appréhender cette réalité difficile selon une approche d’ouverture, et  de main tendue vers l’autre. L’adversité politique ne signifie pas inimitié. La diversité est un signe de richesse, et d’enrichissement mutuel, sans lesquels, il n’y a pas de sens pour la démocratie.

Seule rescapée au milieu des tragédies arabes, la Tunisie est en train de monter les toutes premières marches pour sortir de l’ornière, mais le chemin est encore extrêmement long et doit être parcouru dans le rassemblement pour l’intérêt général, et non dans l’effritement au nom de l’intérêt partisan étriqué. Les problèmes et les complexités sont tels qu’aucun parti n’a la solution absolue pour les résoudre, mais détient peut-être un bout de la solution.

Le présent de la Tunisie ne sera préservé que par la concorde nationale, et son avenir (après les  prochaines élections) ne sera sauvé qu’à travers une coalition nationale pour la réforme et le redressement. Tout autant que l’avenir des pays arabes, plongés, hélas, dans des guerres fratricides. Un jour, ils s’en apercevront, mais ce sera trop tard, et ça ne fera que prolonger leur retard déjà multiforme et endémique.
H.J.


 

Commentaires 

 
#3 Le combat pour une réelle démocratisation contnue!
Ecrit par volvert     27-03-2014 14:56
Il est probable que pour le malheur du pays, les prochaines élections feront une place importante aux islamistes. Alors, ils reprendront les commandes de certains ministères où ils retrouveront ceux de leurs hommes, déjà en place, et que ce gouvernement de "technocrates" tarde à congédier conformément à l'accord conquis de haute lutte sous la houlette du quartette.
Il me parait difficile d'imaginer les islamistes, soudain convertis aux préceptes démocratiques, abandonnant leur paradigme idéologique pour un pluralisme respectueux de toutes les sensibilités présentes dans le champ politique local.
C'est de ce point de vue que l'inquiétude demeure quant à l'issue de ce mouvement social,né dans les profondeurs de la société et incarné par l'irruption de la protestation d'une jeunesse abandonnée qui n'hésita pas à payer de son sang le changement que certains veulent s'approprier...
Je crois, cependant, que l'ont peut tempérer nos craintes au regard de l'existence d' "un mouvement du refus de l'islamisation" face à ce que nous proposent certains en guise de seul projet possible, au motif qu'existe une frange de la population avec ses organisations politiques, et un mouvement syndical bien implanté dans des secteurs clés, capables d'endiguer la vague hégémonique des mouvements de "ré-islamisation" et de leurs suiveurs aussi démagogues et, pour une part, dangereux.
Le combat pour une démocratisation réelle continue. Chacun de sa place, et avec son bulletin de vote, y a une part de responsabilité.
 
 
+2 #2 RE: La Tunisie, seule rescapée au milieu des tragédies arabes ?
Ecrit par wbensalah     26-03-2014 13:57
L'analyse de léon est excellente sauf sa conclusion, on ne regrettera jamais ZABA mais on fera tout pour sortir notre Pays de l'abime dans lequel veulent le noyer les Islamistes.
 
 
-3 #1 RE: La Tunisie, seule rescapée au milieu des tragédies arabes ?
Ecrit par Léon     25-03-2014 23:22
Rescapée? Ahhh bon! C'est juste une impression due au fait que les bâtisseurs de la Tunisie avant la satanée révolution ont laissé des institutions, un système de travail, une tradition économique solide et les caisses pleines à craquer.
Il faut du temps pour dilapider TOUT le système. C'était en bonne voie de déperdition et c'est pour cela que Jbéli, voulant arrêter l'hémorragie, avait appelé à un Gvnt de technocrates (apparemment il est plus responsable et plus patriote que d'autres). On a donc perdu une année depuis son appel. Maintenant le patient (la Tunisie) est trop atteint et trop faible. Il a besoin de beaucoup de sang, tellement beaucoup qu'il est obligé d'aller le quémander chez ses bourreaux, qui ne le lui donneront certainement pas sans rien.
Le diagnostic souverain est largement engagé et je pense que les tunisiens maudiront jusqu'à la fin de leurs jours, la haine satanique régionaliste qui les a poussé à crier dégage et à applaudir le viol de leur mère patrie par les forces infiltrées.
Un peuple que le régionalisme a rendu traître.
Vous en arriverez à regretter non seulement Ben Ali, mais aussi les Trabelsi qui donnaient à manger à bien de tunisiens aujourd'hui affamés.
Léon.
 
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