"La Tunisie ne peut plus supporter le coût de la non-réforme" (Chahed)

Publié le Vendredi 23 Mars 2018 à 13:27
Youssef Chahed devant l'Assemblée, vendredi 23 Mars. Un baroud d’honneur, ou une véritable chance de s’imposer et de reprendre le dessus ? A travers son discours de ce 23 Mars, Youssef Chahed a répondu à ses détracteurs en tentant de montrer leurs contradictions, mais pas seulement, il a fait référence à Bourguiba pour avoir promu le savoir, témoigné sa gratitude à Béji Caïd Essebsi, avec qui il dit être en parfaite symbiose, et tenté de se réconcilier avec l’UGTT, après la brouille de ces derniers temps. Il a surtout fait un plaidoyer véhément en faveur des réformes d'une urgence pressante, pour sauver les finances publiques, et éviter l'enlisement...

Youssef Chahed s’est obstiné devant l’hémicycle dans la défense de son bilan et de celui de son gouvernement, face aux nombreuses critiques et voix discordantes qui ne donnent pas cher à l’actuelle équipe de la Kasbah.

L’évaluation de l’action du gouvernement d’union nationale et de l’état d’avancement du document de Carthage, doivent reposer, à ses yeux, sur "des données précises", et non obéir "à l’humeur, aux calculs politiciens et à la mauvaise foi". 

Le locataire de la Kasbah a rappelé que son gouvernement était arrivé dans une "conjoncture économique extrêmement difficile", face à des indicateurs négatifs et une situation sécuritaire instable, rappelant l’assaut terroriste contre Ben Guerdane, cinq mois avant l’arrivée de son cabinet, et les attentats terroristes qui se sont succédé (Bardo, Sousse, bus de la garde présidentielle) de Mars 2015 à Mars 2016. Il est remonté plus loin pour rappeler les assassinats politiques, et les attaques contre nos vaillants soldats, "autant d’événements proches dans temps, dont l’économie s’est ressentie".  "Même quand la sécurité est rétablie, il faut du temps pour la reprise du cycle économique", a-t-il souligné.

Chahed a pointé l’ambivalence de ses détracteurs qui d’un côté attestent de l’échec du gouvernement, et de l’autre saluent les réussites de l’institution sécuritaire et militaire, "une approche étrange", considère-t-il, qui est celle de séparer le dispositif sécuritaire et militaire de la classe dirigeante. Il a imputé les succès militaires et sécuritaires "aux décisions prises au sein du conseil de sécurité nationale, et aux efforts menés par le gouvernement pour doter les institutions sécuritaire et militaire des moyens et ressources nécessaires, avec une enveloppe qui leur est allouée de 5 mille millions de dinars, équivalent le budget de développement". "Notre pays est en train de gagner la guerre contre le terrorisme, mais le risque zéro n’existe pas et la vigilance s’impose", a-t-il asséné.

Finances publiques : un problème structurel

Il a ajouté que le principal objectif de son gouvernement aussitôt investi était de relancer une économie en rade, à travers des mesures en faveur de l’exportation, de l’artisanat, de l’agriculture, du code des investissements, de la simplification des procédures, attestant d’une amélioration des indicateurs s’agissant de l’économie réelle.

Il a fait état d’une amélioration du taux de croissance, d’une baisse du chômage de 1,7%, de l’amélioration des exportations de 40 %, du taux de couverture de 10 %, ainsi que du tourisme : "8 millions de touristes sont attendus cette année, et le taux de réservation en prévision de la prochaine saison a atteint les 100 %".

Reste le problème des finances publiques, lequel est "structurel" étant le résultat "d’une accumulation des années passées". "Tant qu’il n’est pas résolu, les craintes restent de mise", a-t-il prévenu, appelant à une accélération du calendrier des grandes réformes liées aux caisses sociales, à la caisse de compensation, aux entreprises publiques…

Il a indiqué que son gouvernement a posé tous ces problèmes sur la table en toute clarté, et que des équipes ont planché dessus et présenté leur diagnostic, propositions et vision…quel est le problème ? "Autant tout le monde est d’accord sur le diagnostic, autant les intérêts sectaires et l’esprit de corps apparaissent au moment de l'amorce des réformes", a-t-il fait constater.  

Youssef Chahed a affirmé que "ces dossiers doivent être tranchés aujourd’hui, en toute urgence et sans plus tarder, car le pays ne peut plus supporter le coût de la non-réforme".

Le régime de couverture sociale est en danger 
Il a affirmé que son gouvernement allait assumer sa responsabilité et aller de l’avant en matière de ces réformes, "quel que soit le coût politique à payer", évoquant l’urgence de réformer les caisses sociales dont "la situation est plus que critique". "Il faut préserver le système social instauré après l’indépendance, celui de la CNSS et de la CNRPS, qui repose sur la solidarité entre les générations. Ce régime est en danger et connait de grandes difficultés", a-t-il alerté, signalant que 100 millions de dinars sont nécessaires chaque mois pour couvrir le déficit des caisses.

Il a indiqué qu’un projet de décret de réforme de la CNSS et un projet de loi de réforme de la CNRPS ont été élaborés, et que l’on va demander la semaine prochaine la position définitive des partenaires sociaux là-dessus, avant que ces textes ne soient adoptés en conseil des ministres, et puis transmis à l’Assemblée pour être examinés et votés.

Il a également alerté sur l’urgence de la réforme des entreprises publiques dont les dettes se montent à 600 millions de dinars, faisant la distinction entre les entreprises qui opèrent dans le secteur concurrentiel et celles qui assurent des services publics (STEG, SONEDE, etc.).

"L’Etat ne peut plus supporter le déficit des entreprises du secteur compétitif dont les pertes ont été estimées en 2016 à 6500 millions de dinars". La cession de ces entreprises permettra, selon ses dires, "de dégager des moyens pour financer l’économie et donner plus de possibilités à l’Etat pour investir dans la santé, l’éducation", etc.

Il a formulé le vœu pour qu’un accord soit trouvé autour de ces propositions de réformes, signalant qu’il "ne voit pas un sens à l’action de son gouvernement, ou d’un autre sans que ces dossiers brûlants ne soient tranchés". "Je n’accepte pas d’être un faux témoin, et de repousser ces réformes ad vitam aeternam pour garder ma position", a-t-il lancé.  

Chahed a anticipé les réactions hostiles à ses propositions qui le taxeront d’être un tenant du libéralisme sauvage, et du règne du seul marché, se défendant d’être partisan d’un tel modèle économique. "Je ne suis pas pour un Etat qui fait tout, un modèle qui a échoué dans le monde entier, mais pour un Etat qui a un rôle de développement, de régulation, qui assure les services publics et qui a une vocation sociale", a-t-il expliqué.

L’ascenseur social est en panne

Le locataire de la Kasbah a, par ailleurs, évoqué la crise de l’école de la république. "L’ascenseur social est en panne au cours de ces  dernières années", a-t-il regretté, faisant référence à Bourguiba, celui qui avait raison de promouvoir "le savoir et la connaissance qui sont les mines réelles pour l’essor de la Tunisie". 

Il a dit être "en harmonie" avec le chef de l’Etat qui s’est prononcé à l’occasion de son discours du 20 Mars pour une réforme du système de l’intérieur, affirmant que c’est cela l’objectif de son gouvernement qui cherche à "libérer les énergies" dans les domaines de l’économie numérique, des énergies renouvelables, ainsi que dans les régions en misant sur la promotion de la gouvernance locale après les municipales. Il s’est engagé pour la poursuite de la guerre contre la corruption, "en s’en tenant à la loi et sans avoir peur de personne".

Il a fait valoir des "relations privilégiées" avec les partenaires sociaux, en prime l’UGTT. "On ne permet à personne d’envenimer nos relations avec les partenaires sociaux", a-t-il dit, faisant valoir la politique de "la main tendue" avec tous ceux qui croient à la réforme afin que le pays avance.

Youssef Chahed a témoigné sa gratitude à Béji Caïd Essebsi, "l’un des bâtisseurs de l’Etat national", celui, qui en le proposant à la présidence du gouvernement, a misé sur une nouvelle génération de politiques. "Je suis fier d’être parmi les enfants de la révolution, je crois en la révolution, la liberté, et la démocratie et considère que la politique n’est pas un slogan qu’on brandit, mais une vision de servir l’Etat et le peuple". En guise de conclusion, le jeune chef du gouvernement a prononcé la formule consacrée : "la différence entre un homme politique et un homme d’Etat, est que le premier pense aux prochaines élections et le second aux prochaines générations". 
Gnet