"La révolution tunisienne a réussi dans sa quintessence" (Hichem Djaït)

Publié le Lundi 13 Février 2017 à 17:55
Hichem DjaïtL’intellectuel tunisien, Hichem Djaït, estime que la révolution tunisienne a réussi dans sa quintessence, celle qui est bâtie sur l’idée de la liberté et est la résultante de l’influence de l’Europe sur la Tunisie. Pour ce qui est des déviances qui persistent six ans après, l’intellectuel les impute  au maque de préparation du Tunisien à la liberté, la considérant comme  étant de "l’égoïsme".

Invité de l’émission Kahwa Arbi, présentée par Insaf Yahyaoui, dimanche soir sur al-Wataniya, Hichem Djaït estime que la révolution tunisienne n’a pas été bâtie sur une idéologie, mais a procédé d’idées de la liberté, de la justice et des droits de l’homme, considérant que la Tunisie est sortie d’une manière irréversible de la dictature.

L’intellectuel a évoqué en préambule les révolutions survenues à l’époque récente, bâties sur des idées ou des idéologies, et "ayant joué un grand rôle dans l’histoire moderne". Il a cité la révolution française, ayant puisé son inspiration dans le siècle des lumières, et dans les écrits de Voltaire, de Rousseau..., et qui "a extirpé le modèle sociétal lié à la monarchie, a prôné l’égalité entre citoyens, les droits du citoyen, et a détruit tout ce qui est vieux et ancien". La révolution bolchévique était dirigée, elle, contre le despotisme des tsars et la deuxième d’octobre 1917 était bâtie sur l’idéologie et visait à asseoir la théorie marxiste alors considérée comme une religion.  La révolution iranienne était menée contre le despotisme du Chah, mais a utilisé fondamentalement l’islam chiite comme idéologie pour encadrer les masses, d’où son nom de révolution islamique, relate-t-il en substance. 

La révolution réelle est celle contre soi-même, celle qui induit un changement interne et une restructuration de la société, fait-il valoir, en citant l’exemple tunisien.

Le développement économique n’est pas l’essentiel

"Ce qui s’est passé en Tunisie, est aussi une restructuration d’une société qui a longtemps vécu sous la dictature des anciens monarques, des beys, du colonisateur, de Bourguiba et de Ben Ali". Djaït considère Bourguiba comme un dictateur, sans renier l’apport du bourguibisme. Bourguiba a joué, à ses yeux,  deux rôles déterminants. "Le premier, c’est d’avoir été un libérateur de la colonisation, et le deuxième est d’avoir mené des réformes importantes et modernisatrices, et a construit un Etat indépendant". Il a imputé le déficit démocratique de bourguiba à trois raisons :  "des conditions internes lui ont  fait penser que le peuple tunisien n’était pas prêt à la liberté et à la démocratie selon le modèle européen, son humeur dure, ou du fait qu’il avait un charisme de leadership", chose dont personne ne se prévaut aujourd’hui en Tunisie, selon l’intellectuel.

L’historien définit la révolution de 2011, comme étant une révolution contre l’idée de la dictature et de l’autoritarisme, qui a été menée par les masses populaires et non par un parti. "C’est une révolution que l’on peut considérer comme étant pacifique parce qu’il n’y a pas eu beaucoup de sang versé".

S’agissant des difficultés économiques de la Tunisie d’aujourd’hui, Djaït  trouve que ces problèmes se posent partout : "on en parle en France, comme dans des pays africains". Le développement économique n’est pas secondaire, mais n’est pas, non plus, l’essentiel, affirme-t-il. 

"Si on parle aujourd’hui de questions économiques et sociales, comme étant à l’origine du problème, c’est parce que la révolution a réussi, laquelle repose sur les idées de liberté, de droits de l’homme, de dignité de l’homme, du changement des institutions, d’une constitution moderne... tout cela est essentiel et historique". La révolution dans sa quintessence reposant sur des idées, des opinions, des aspirations et des idéaux a réussi, notamment de point de vue institutionnel, martèle-t-il, la considérant comme étant la résultante de l’influence de l’Europe sur la Tunisie.

Le Tunisien confond liberté avec égoïsme
Interrogé sur les déviances de la révolution tunisienne, l’intellectuel rétorque : "On parle maintenant six ans après de déviances, mais au cours des trois premières années, il y avait plus que de déviances, mais des troubles, des blocages, des petits soulèvements, des assassinats et la montée des courants islamistes terroristes".

Pour ce qui est des déviances qui persistent six ans après, l’intellectuel les impute au fait que le Tunisien n’est pas complètement préparé à la liberté, et il lui faut un long moment pour la digérer. "Le Tunisien considère la liberté comme étant de l’égoïsme", analyse-t-il. Le Tunisien s’est relâché, il fait ce qu’il veut, il y a un laxisme dans l’administration, déplore Djaït, estimant que le pays ne peut supporter une telle anarchie, d’où la nécessité qu’il y ait "autorité et discipline". Il regrette l’absence de pédagogie. "Ce que Bourguiba a fait de mieux, c’est la pédagogie, et l’éducation du peuple".

L’intellectuel trouve une bonne chose le consensus suivi dans le pays après la révolution, étant donné que la Tunisie est un petit pays, et le clivage en son sein entre islamistes et laïcs aurait pu mener au conflit.

Djaït revendique son indépendance et se défend de toute proximité de Moncef Marzouki à l’époque où il était président, soulignant que de toute sa vie, il n’a jamais adhéré à un parti. "En 1955, à l’époque du retour de Bourguiba, j’avais 20 ans, mais je n’ai jamais adhéré au parti destourien ni à aucun autre parti. Je critiquais librement Bourguiba, comme j’ai critiqué Ben Ali". Il a dit avoir de l’amitié pour Marzouki, qu’il connait depuis 1984. "Je respecte sa résistance à la dictature, et tous les opposants à la dictature sont mes amis, y compris Sihem Ben Sédrine", accusée à tort, à ses yeux. "Sihem Bensedrine est une femme résistante et les accusations de corruption la visant sont contraires à la vérité", a-t-il affirmé.
Gnet