La double-appartenance des Tunisiens, religieuse et citoyenne (Sondage)

Publié le Mardi 10 Mai 2016 à 17:17
Vue de la conférence
Un sondage d’opinion effectué sur le thème de la religion et la politique dans les pays d’Afrique du Nord révèle que l’identité des citoyens est partagée entre l’appartenance religieuse et l’appartenance citoyenne. La Tunisie se distingue par une sorte d’équilibre entre les deux. C’est ce qu’a révélé ce matin Hassen Zargouni, directeur général du bureau d’études spécialisé dans les enquêtes, Sigma Conseils, lors d'une conférence de presse. En Tunisie, l’appartenance nationale est ce qui caractérise le plus les Tunisien à hauteur de 53.2% des sondés. 
 
Ensuite vient l’appartenance religieuse (37.6%). L’arabité arrive derrière avec 6.8% des sondés. Lorsque la question est posée en termes d’opposition, la tendance s’inverse, avec 48.1% qui pensent que l’identité religieuse est plus importante que l’identité nationale, contre 41.2% qui pensent le contraire. Il n’en demeure pas moins que le cas de la Tunisie se démarque nettement des autres pays.  En Libye, 63.2% des personnes interrogées font passer la religion avant le pays. La Libye étant le pays d’Afrique du Nord dont le sentiment religieux est le plus fort. Le sondage a été effectué dans cinq pays : La Tunisie, le Maroc, l’Algérie, la Libye et l’Egypte.
 
55.4% de Tunisiens font la prière
Les Tunisiens sont quasi unanimes à considérer que l’Islam a une importance dans leur vie.  « L’Islam des Tunisiens est un Islam culturel basé sur les 5 piliers. La fréquentation des mosquées est jugée moins importante que l’accomplissement des cultes, et le rapport à l’islam est individualisé » a expliqué Hassen Zargouni. Si 95.3% pensent que la prière quotidienne est importante, seulement 55.4%  d’entre eux disent la pratiquer régulièrement. 
 
En revanche, l’écart est quasi-nul pour le jeûne du Ramadan. «Cela s’explique par la pression sociale qui est plus pesante lorsqu’il s’agit de pratiquer certaines obligations religieuses », explique Mohamed Haddad, Président de l’Observatoire arabe des Religions et des libertés, ayant participé à l’élaboration du sondage. 
 
L’aspect ostentatoire de la religion est nettement moins prononcé en Tunisie,  par rapport aux autres pays. Seulement 4% des Tunisiens soutiennent le port du nikab et 84.3% lui opposent un refus net.  Seulement 22.6% soutiennent  la barbe, avec un refus total s’élevant à 55%. Ceux qui refusent totalement le port du Kamis représentent 57.2% de l’échantillon.
 
En Tunisie, 60.1% des sondés soutiennent le port du voile, et près du quart refusent le voile de manière catégorique, alors qu'autant de personnes le soutiennent complètement. 
Ceux qui refusent catégoriquement le port du Tchador sont 36.8%. Mohamed Haddad explique que les Tunisiens, s’ils soutiennent  modérément le voile pour la femme, ne le considèrent pas aussi important que les cultes. « En d’autres termes, la religion des Tunisiens est prioritairement culturelle », selon lui. 
 
Par ailleurs, même quand 85.3% des Tunisiens sont d’accord pour l’égalité en droit des citoyens, ce résultat reste inférieur à celui obtenu dans les autres pays.  « Très probablement parce que la question prend une signification particulière pour beaucoup d’entre eux. L’égalité en droit serait posée entre l’homme et la femme et non seulement entre les adeptes de religions différentes », d’après Haddad. Les Tunisiens ayant répondu à cette question pensaient probablement au partage de l’héritage, d’après lui.
 
Dans un autre volet, les Tunisiens sont majoritairement pour la séparation de la religion et de la politique (72.8%). En contraste avec les autres pays, 69.5% des Tunisiens sondés s’opposent à l’utilisation de la Chariaa comme unique source d’inspiration de la loi. 
 
Probablement parce que 34.5% pensent que l’impact de l’islam sur la politique est « très négatif », et 23.1% qu’il est « plutôt négatif ». 
 
En Egypte, seulement 14.2% pensent que l’impact de l’islam sur la politique est très négatif, et 13.1% qu’il est plutôt négatif. Au Maroc, l’islam politique semble plus accepté avec 53.6% des sondés qui se déclarent d’accord avec l’intervention des imams dans la vie politique.

En Tunisie, 75.6% se prononcent contre l’intervention des Imams dans la vie politique. 
 
A l’instar des citoyens des 4 autres pays, les Tunisiens s’opposent net à la violence religieuse (83.1%). La plupart d’entre eux considèrent que l’extrémisme religieux est la conséquence de la mauvaise interprétation de la religion.  Dans la même lancée, 30.4% estiment que c’est l’occident qui est responsable de l’incitation à l’extrémisme religieux. Dans les autres pays maghrébins, ils sont plus nombreux à adhérer à ce raisonnement. En Tunisie 16.3% des sondés accusent les partis islamistes d’incitation à l’extrémisme religieux et 10.3% accusent les associations. 
 
Le sentiment d’inquiétude quant à la propagation de l’extrémisme est assez répandu parmi les Tunisiens, avec 44% qui jugent que cette propagation est « forte », et 35.6% qui jugent qu’elle est moyenne. Les causes retenues par les Tunisiens sont prioritairement la mauvaise interprétation de la religion (22.2%), la pauvreté (21.2%) et l’inconscience (14.3%).
 
L’Organisation de l’Etat Islamique incarne l’extrémisme et la violence pour les Tunisiens. Ils sont 96.1% à y voir une image négative et 96.4% à refuser ses pratiques. Elle est synonyme de terrorisme chez 64% des sondés et de barbarie chez 10% de l’échantillon.  

Comme dans tous les pays arabes, les Tunisiens considèrent que les Etats-Unis sont les principaux responsables de la création de l’Etat Islamique (52.8%), et de son financement (34.6%).  Les Tunisiens sont à hauteur de 81.3% pour la fermeture des mosquées qui fonctionnent en dehors du contrôle de l’Etat et 80.6% à être pour la construction d’un mur sur les frontières. Ils appellent aussi à l’amélioration du niveau de l’éducation et à la promotion du développement régional.
 
L’enquête a été menée au mois de décembre 2015, auprès de 5000 personnes dans les 5 pays.  
En Tunisie, l’échantillon sondé est composé de 1017 Tunisiens âgés de 18 ans et plus. 50.1% des sondés sont des hommes et 49.9% sont des femmes.  
Chiraz Kefi