La contestation sociale en Tunisie vue par la presse internationale

Publié le Vendredi 12 Janvier 2018 à 16:30
Pour les médias étrangers, la contestation est mue par des raisons économiques, mais pas seulement...La Tunisie était très présente ces derniers jours dans les médias internationaux, notamment français. Les derniers troubles dont plusieurs régions ont été le théâtre ont été à la une des journaux, et des JT. Reportages sur les lieux de la contestation, interviews avec des experts et spécialistes de la Tunisie, commentaires et analyses, la matière journalistique pour comprendre ce qui se passe dans le berceau du printemps arabe a été abondante. 

"La grogne sociale enfièvre la jeune Tunisie démocratique. Depuis le début de la semaine, les manifestations se multiplient dans l’arrière-pays comme dans certains quartiers de Tunis", écrit ce vendredi 12 janvier, le Monde dans son éditorial intitulé : Tunisie : L’envers du décor d’une transition tant célébrée à l’étranger.

"La révolution de 2011, qui avait renversé le dictateur Zine El-Abidine Ben Ali, allumant ainsi la mèche des révolutions arabes, avait été surtout menée par la jeunesse des régions défavorisées de l’intérieur du pays. Au-delà de l’aspiration démocratique, la révolte tunisienne exprimait une attente économique : la refonte d’un modèle de développement historiquement conçu par les élites au pouvoir à Tunis pour favoriser un littoral prospère, au détriment d’un arrière-pays oublié.

Sept ans plus tard, ce chantier est en panne. La fracture territoriale entre les deux Tunisie est plus profonde que jamais" (…).

(…)"Tunis a beaucoup capitalisé au niveau international sur ce qu’il faut bien appeler sa « rente démocratique », à savoir une bienveillance automatique due à son exemplarité dans le monde arabo-musulman. Sans pour autant en retirer de substantiels bénéfices économiques, il faut le reconnaître.

Une amitié exigeante ne saurait occulter les questions qui fâchent. Est-il normal que les sacrifices imposés par l’impératif – que nul ne conteste – de réduction des déficits publics frappent surtout la classe moyenne et les foyers les plus modestes, alors que les couches privilégiées restent sous-fiscalisées ? Est-il normal que la Tunisie soit actuellement le théâtre d’une présidentialisation de son régime politique, à laquelle s’emploie activement le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, à rebours de l’inspiration parlementaire de la Constitution de 2014 ? Est-il normal enfin que la coalition dirigeante formée autour des partis Nidaa Tounès (« moderniste ») et Ennahda (islamiste) se partagent les dépouilles de l’Etat en érodant insidieusement les contre-pouvoirs ?.

Ces reniements, qui ouvrent la voie à une possible restauration autoritaire, tissent la toile de fond de la grogne actuelle. Exiger des dirigeants tunisiens qu’ils honorent la promesse de 2011 est le meilleur moyen de garantir la stabilité de ce pays unique", écrit le quotidien français du soir.

"C'est en Tunisie que la vague des printemps arabes avait débuté il y a sept ans et avait abouti à la chute de Ben Ali. "À l'image de ce qui s'était passé en 2011 avec la révolution de jasmin, des chômeurs se sont rassemblés à Sidi Bouzid pour protester contre la hausse des taxes et des prix", rapporte France Info, citant son envoyé spécial à Tunis, Arnaud Comte.

Dans un article intitulé : "Tunisie : une troisième nuit de violences, des centaines d'arrestations", France info pose la question de savoir si ce mouvement va continuer, s'il va perdurer, s'il va s'intensifier. Ce qui est sûr, c'est que les autorités tunisiennes affichent une fermeté. Elles estiment que les réformes sont nécessaires". "Près de 600 personnes ont été interpellées cette semaine".

La chaîne européenne Euronews évoque "un mouvement de contestation contre la vie chère et les inégalités". "Une crise sociale qui pourrait déboucher sur une crise politique". 

Dans un article intitulé Vers une nouvelle révolution en Tunisie ?, paru sur son site, Euronews, donne la parole à  Marc Pierini, ancien ambassadeur de l'Union européenne en Tunisie :  "C'est un peu le retour de la vieille garde, des ministres de l'époque Ben Ali. Les enquêtes pour corruption ou les procès ont été stoppés, il y a donc des inquiétudes d'ordre politique. Les élections municipales approchent, le parti islamiste  Ennahdha est en meilleure position que les partis traditionnels. Donc, les Tunisiens s'inquiètent aussi de l'orientation de la société.", souligne-t-il.

"Pour l'Europe comme pour les États-Unis, la Tunisie est un joyau de la révolution arabe, le seul pays qui a réussi à mettre en place des réformes constitutionnelles, avec la tenue d'élections. Et au final, le pays a été plutôt paisible ces dernières années. Le problème c'est que pour les démunis, cela ressemble à un processus sans fin et aujourd'hui, les gens craignent que, comme avant, les riches continuent de s'enrichir" indique-t-il (…).

Et à la chaîne de conclure que "sept ans après le Printemps arabe, le spectre d'une nouvelle révolution semble proche".

Libération a choisi de  se rendre à Tebourba, intitulant son reportage : A Tebourba, une colère de première nécessité.

"Tebourba symbolise l’angle mort tunisien. Située dans une zone agricole, la ville n’est ni assez éloignée des centres urbains ni assez riche en matières premières pour bénéficier d’une attention particulière, comme c’est le cas de régions telles celles de Sidi Bouzid (d’où est partie la révolution de 2011), de Gafsa (où est extrait le phosphate) ou encore de Tataouine (où se trouve le pétrole)", souligne Libé.

Le journal cite le témoignage d’un militant de gauche pour qui "les pauvres tapent sur les pauvres pendant que les bourgeois se reposent tranquillement à la Marsa".

Le Figaro donne lui la parole à Béligh Nabli, directeur de recherche à l'IRIS, dans un article intitulé : Manifestations, grèves, violences : comprendre la crise en Tunisie en quatre questions.

"Dans un pays où les indicateurs économiques sont au rouge, la grogne est sociale, portée par la «cherté de la vie» alors que l'inflation a bondi en 2017 de 6,4%. Le chômage touche officiellement 15% de la population active et 30% des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur. «Des chiffres qui sont probablement en dessous de la réalité», confie Béligh Nabli qui ajoute que l'inflation, notamment sur les biens de première nécessité, provient d'abord d'une balance commerciale déséquilibrée. «Comme le dinar a perdu un quart de sa valeur en deux ans, les importations, notamment alimentaires, coûtent beaucoup plus cher", précise-t-il.

Extraits choisis par Gnet