Justice transitionnelle, transposer le droit pénal international en Tunisie

Publié le Dimanche 11 Décembre 2011 à 15:55
Plusieurs pays dans le monde, ayant vécu une révolution ou un revirement politique et suite à une situation de crise (guerre civile, dictature…), ont été confrontés à la question de la justice transitionnelle.

Qu’est-ce que la justice transitionnelle ? Il s’agit d’établir un nombre de mécanismes juridiques et administratifs exceptionnels pour faire la lumière sur les crimes et dépassements commis durant une période donnée. Comme c’est arrivé au Rwanda, en ex-Yougoslavie et en Sierra Leone.

Les activistes et membres de la société civile en Tunisie ont souvent évoqué le sujet, revendiquant l’instauration d’une justice transitionnelle pour les crimes commis sous Ben Ali, et même sous Bourguiba.

A ce sujet, le Centre de Tunisie pour la Justice transitionnelle présidé par la militante Sihem Ben Sedrine a organisé un colloque sous le thème «Assises de la justice transitionnelle en Tunisie ». Il s’est tenu à la cité de sciences de Tunis, le 9 et 10 décembre courant.
Le vendredi dernier, plusieurs ateliers ont été organisés, dont un intitulé « Lutte contre l’impunité : justice pénale nationale et internationale», réunissant plusieurs experts nationaux et internationaux en matière de justice et de droit pénal.

Brenda Hollis, procureure à la Cour pénale internationale, conseille dans son intervention, que la Tunisie adopte toutes les lois stipulées dans le droit international pour combler le vide qui concerne les atteintes à la vie et à l’intégrité physique des personnes et qui seraient commandités par des personnes au pouvoir. Parmi ces forfaits ; les crimes contre l’humanité, les génocides, les atteintes aux droits de l’Homme et la torture. « Si la loi Tunisienne prévoit le principe d’amnistie, elle doit en exclure les crimes contre l’humanité, les génocides et la torture », précise la procureure.
Dans le droit international, le  principe d’immunité et d’amnistie n’existent pas. Toute personne soupçonnée d’avoir commis un crime sous l’ordre d’un régime politique, ou par des groupes motivés par des idéologies, sont susceptibles d’être poursuivis en justice. Or ces notions ne sont pas prises en compte dans le droit tunisien. Les affaires de cet acabit sont traitées au cas par cas, comme c’est le cas actuellement.

Le juge à la chambre criminelle, Farhat Rajhi, confirme l’inexistence de ce type d’incrimination dans le droit tunisien. « Les crimes contre l’humanité, de guerre et de torture ne sont pas pris en compte en Tunisie. Il existe un article de loi qui punit la torture de 6 ans de prison, alors qu’un vol à main armée peut être passible de 20 ans de réclusion ». Le juge reconnaît qu’il existe des faiblesses dans le droit national « qu’il faudrait rééquilibrer ».

Les personnes pouvant être poursuivie auprès d’un tribunal exceptionnel sont celles qui ont commis le crime, celles qui en ont donné l’ordre, les complices et les personnes faisant partie de l’organisation. Dans la même optique, les cadres militaires sont responsables des actes de leurs subordonnés. « C’est pour quoi les tribunaux militaires sont souvent une manière d’occulter les crimes commis. Le jugement n’y est pas transparent et juste, et aucun recours n’est possible », éclaircit Saïd Ben Gharbia de la commission internationale des juristes à Genève. Il suggère un nombre de notions à intégrer dans le droit national de la Tunisie, pour dissuader les potentiels criminels. Parmi elles, que les responsables de l’Etat peuvent être poursuivis en justice, n’utiliser les tribunaux militaires que pour sanctionner les affaires communes et non pas les crimes contre l’humanité et les droits de l’Homme. Pour que la justice transitionnelle soit efficace, il faut garantir le non-recommencement de ces crimes, que les pays reconnaissent et dédommagent les crimes commis contre les personnes, et leur accorde le droit de mémoire. Et qu’enfin que la justice soit impartiale et parfaitement indépendante de l’appareil de l’Etat.

En effet, en Tunisie, bien que la loi criminalise les atteintes à l’intégrité physique et que plusieurs conventions internationales soient ratifiées, l’application de ces textes est dérisoire, voire insignifiante, pour cause de régime dictatorial

C’est pour quoi Brenda Hollis insiste sur la nécessité de réformer la justice. Selon elle, il n’est possible d’établir une justice transitionnelle, sans asseoir au préalable une justice transparente et impartiale et former des juges intègres. «Il faut que les autorités soient également en mesure de fournir les éléments nécessaires et les moyens suffisants, pour le bon déroulement des enquêtes. Il existe un large corps de jurisprudence dans les pays précurseurs, qui peut aider le corps juridique tunisiens à améliorer ses compétences », propose-t-elle.

Une militante, attire l’attention sur le sujet de la prescription auquel se sont heurtées plusieures affaires. «Il faut dire que, plus le recours en justice est rapide, plus il est facile de trouver des preuves et des éléments de réponses », répond Farhat Rajhi.

Amna Guellali, directrice du bureau Human Rights Watch Tunis et Alger, a pour sa part, évoqué l’affaire de Barraket Essahel. «La question de la prescription s’est posée, mais on a trouvé une solution dans un autre article du code pénal ». Une solution toutefois mesurée. Les coupables ont écopé de 3 à 5 ans de prison ferme, pour plusieurs affaires de torture. 

Au cours de cet atelier, des membres de la société civile ont déploré le fait qu’aucune décision n’ait été prise pour mettre en place une justice transitionnelle qui traiterait des crimes commis sous l’ancien régime, voire au-delà. « Il faudrait que l’assemblée constituante, seule autorité légitime, émette une loi autorisant l’instauration d’une justice transitionnelle qui permettrait d’accéder aux archives pour corroborer les thèses », dit Farhat Rajhi.
Chiraz Kefi

 

Commentaires 

 
#3 Conseiller juridique Ministre de l'Intérieur
Ecrit par Félicitations     15-02-2012 09:54
En qualité d'acteur dans le processus de mise en place des mécanismes de justice de transition au Burundi, je voudrais encourager la Tunisie(acteurs etatiques et de la societé civile)pour mettre en place une telle justice afin de bannir à jamais l'impunité qui a doné lieu à la perpétration des crimes les plus odieux répréhensible au niveau internationale.Mon pays est entrain de l'expérimenter et nous en sommes à la phase d'adoption de mise en place de la Commission Verité et Reconciliation.
 
 
#2 une bonne idée...
Ecrit par Ammar..     12-12-2011 15:58
Une bonne idée.. Il faut rappeler ça à M. Hammadi Jebali!!
 
 
#1 RE: Justice transitionnelle, transposer le droit pénal international en Tunisie
Ecrit par hammadi     12-12-2011 12:14
il faut transcrire aussi les lois qui bannissent la discrimination des femmes en matière d'héritage
 
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