Justice transitionnelle : Quels défis pour la Tunisie ?

Publié le Jeudi 05 Février 2015 à 17:19
L’Association Tunisienne des Jeunes Avocats organisé un colloque scientifique du 4 au 6 février 2015 sur la justice transitionnelle et les libertés. Lors de la deuxième journée, deux ateliers de travail ont eu lieu, le premier au sujet des assassinats politiques et le second au sujet de la Justice transitionnelle, entre la constitution et les libertés.

Karim Abdessalem, président de l'association Justice et Réhabilitation, a animé le second atelier, ce jeudi, en exposant le rôle et les défis de cette forme particulière de justice qui concerne les pays en période de transition, dont la Tunisie.

La justice transitionnelle telle que la définissent les textes internationaux est  une justice qui permet de connaitre la vérité après un conflit majeur, une guerre ou une révolution ayant bouleversé le régime en place. Elle permet aussi de demander des comptes aux coupables, et enfin à instaurer une réconciliation. «La première expérience en la matière a vu le jour en Grèce, dans les années 1970, ensuite s’est développée en Argentine, en Angleterre, en Amérique latine, au Pérou, au Nepal et en Europe de l’Est, quand des dictateurs sont tombés, comme Pinochet…Cette justice a été appliquée de manière claire », a-t-il dit.

Toutefois ce procédé n’a pas partout donné ses fruits. Il a cité l’exemple de l’Afrique du Sud, « où après un processus qui a duré 25 ans, les victimes ont été marginalisées et parmi les 309 affaires traduites devant la justice, seulement 9 affaires ont fini par être traitées », a dit le président de l’Association.

Selon lui, une bonne justice transitionnelle « ne doit pas provoquer une coupure entre le nouveau régime et l’ancien régime, mais à ouvrir les canaux de communication et pacifier. Dans certaines expériences étrangères, les autorités ont fini par s’asseoir à la même table que les bourreaux et les assassins pour trouver un moyen de réconciliation », a-t-il expliqué.

Par ailleurs, la justice transitionnelle prend en considération les spécificités de chaque expérience. Certains pays démocratiques ont refusé d’adopter ce processus. Un intervenant évoque l’expérience de l’Allemagne, où les autorités ont évité d’ouvrir les archives après la guerre. « Un membre de la police politique allemande nous avait dit une fois, que s’ils avaient ouvert les archives, ils auraient trouvé des membres de la même famille qui se seraient trahis les uns les autres…ce qui aurait ouvert un grand chantier », a-t-il relaté

La justice transitionnelle est considérée comme étant le 4ème pouvoir après celui de l’Assemblée, de la Présidence du gouvernement et de la Présidence de la République. « Mais l’Instance Vérité et Dignité chargée de la justice transitionnelle n’a aucun pouvoir. Elle ne dispose que du droit d’émettre un rapport à l’issue de ses travaux », a regretté Abdessalem.

Il a par ailleurs critiqué la loi régissant la justice transitionnelle, qui selon lui, n’en expliquait pas les raisons.

Amor Safraoui , président de l’Instance de coordination indépendante pour la Justice transitionnelle, avait au mois de juin dernier, critiqué dans une tribune, le mécanisme mis en place en Tunisie, pour ce type de justice. Il a entre autres, dénoncé l’inexistence de tribunaux spéciaux pour l’appel, «  ce qui transgresse le droit à un procès à deux degrés, comme l’exige l’article 108 de la constitution », avait-il dit.

Cette même loi incrimine la falsification des élections et l’incitation à l’émigration clandestine, qui elles, ne sont pas incriminées par le code pénal tunisien. Ce qui est, selon Safraoui, une transgression de la constitution qui stipule que la peine ne peut être inscrite dans la loi portant sur la Justice transitionnelle que si elle figure déjà dans le code pénal. 

Autre point de discorde, l’article 25 de la loi portant sur la justice transitionnelle qui considère que les décisions de la commission de tri, sont définitives et ne s’apprêtent à aucun recours. Une disposition qui est, selon ses dires,  contraire aux lois et traités internationaux garantissant le droit au recours à la justice, et à se défendre.

Il avait aussi vivement critiqué l’Instance vérité et Dignité, qu’il considérait "ne pas être la solution, mais le problème, puisqu’elle est anti-constitutionnelle".

Chiraz Kefi