Chedly Ayari : "La Tunisie vit une fausse transition démocratique"

Publié le Vendredi 29 Juillet 2011 à 16:00
Vue de la séance d'ouverture de l'université d'été de l'association Mohamed Ali. C’est une note pessimiste qui s’est dégagée lors d’une rencontre tenue ce vendredi à Gammarth des propos de Chedly Ayari, d’Iadh Ben Achour et d’Ahmed Ounais sur le processus de transition en Tunisie. "L’économie s’effondre", prévient Chedly Ayari, pour qui "la Tunisie vit une fausse transition démocratique". "Nous sommes dans l’œil du cyclone", dit Iadh Ben Achour, président de la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Ahmed Ounais, lui, évoque "un blocage philosophique autour du modèle de société en devenir, voire une controverse entre ceux qui s’inscrivent dans la modernité et les valeurs universelles et les autres qui s’appuient sur les dogmes et les référentiels de valeurs traditionnelles". Un dilemme qui ne sera pas tranché, à la faveur des élections du 23 octobre, prédit-il.

Réunis lors de la 18ème université d’été de l’association Mohamed Ali de la culture ouvrière, tenue les 29, 30  et 31 juillet, autour du thème "les contributions des mouvements syndicaux dans la transition démocratique dans l’espace euro-méditerranéen", ces orateurs et tant d’autres sont intervenus devant une assistance composée d’universitaires, de membres de la société civile et d’acteurs politiques. Leurs analyses font froid dans le dos.  

Chedly Ayari met en garde contre un deuxième 14 Janvier
D’après Chedly Ayari, professeur émérite, "la Tunisie vit plutôt une effervescence près du chaos, qu’une transition démocratique". Cet ancien ministre de Bourguiba explique la situation en Tunisie en se référant à l’expérience des pays de l’Europe centrale et orientale après la chute du mur de Berlin. C’est à ce moment là que le concept de transition est apparu, avec des pays alors assujettis à l’ex-empire soviétique, qui voulaient transiter vers les libertés et l’économie du marché, voire vers le modèle normatif de l’occident. "Le processus de transition n’est pas révolutionnaire, il n’est pas rupture, il suppose une espèce d’harmonie.(...) La révolution est rupture, le processus qui lui succède n’est pas rupture", relève-t-il. Dans le modèle arabe, Tunisie et Egypte, "la transition est chaotique et les perspectives sont floues". Pour chedly Ayari, "c’est un grave abus de langage de qualifier la période actuelle en Tunisie de transition démocratique". "Ce n’est pas une transition rationnelle, qui a un but, mais c’est une effervescence désordonnée et on ne sait pas sur quoi elle va aboutir". Il s’agit d’une fausse transition démocratique, assène-t-il.

Et de renchérir : "à l’image de cette fausse transition démocratique, la transition économique était catastrophique, car, ce liant, cette rationalité qui font toute transition manquaient". L’orateur met du bémol et évoque certaines "zones lumineuses", à l’instar de la relance des exportations tunisiennes, de la reprise industrielle en perspectives, de la bonne saison agricole qui s’annonce, ainsi que de l’accueil favorable de la communauté internationale à la révolution tunisienne. Il cite néanmoins, chiffres à l’appui, des indicateurs préoccupants, voire des zones d’ombre qui sont plus nombreuses que les zones lumineuses, soit les réserves de change de la banque centrale qui ont fondu, avec une perte de 3 milliards de dinars, le recul des investissements extérieurs, le repli du taux de croissance du PIB. "Sur les 55 ans d’indépendance de la Tunisie, bon an, mal an, on avait un taux de croissance du PIB entre 4,5 et 5 %, la Tunisie a même connu des années avec un taux de croissance à deux chiffres, et il se trouve que j’étais ministre à l’époque, mais ce n’était pas grâce à moi, mais au prix de pétrole", indique-t-il humblement.

Au cours du premier trimestre 2011, le taux de croissance en Tunisie était de -3,3%. C’est un record historique dont nous n’avons pas trace aucunement pendant un demi-siècle, déplore-t-il, expliquant que la Tunisie n’est pas en récession, mais et est entrée dans une forte dépression économique. "Notre ambition est d’arriver à un taux de croissance entre 0 et 1 %", souligne-t-il, en ajoutant :  "sans croissance du PIB, il n’y a pas emplois, sans emplois, il n’y a pas salaires, et sans salaires, il n’y  a pas de pouvoir d’achat". 

Au cours de ces trois mois, les pertes encourues par l’économie tunisienne sont entre 5 et 8 milliards de dinars, soit entre 7 et 12 % du PIB tunisien. Si le deuxième trimestre était aussi mauvais, il n’y aurait aucune chance pour faire un taux de croissance de 0 %, ce sera un taux de croissance négatif, pronstique-t-il.  Chedly Ayari tire la sonnette d’alarme, "l’économie est en train de s’effondrer, ainsi que le système de développement. La gouvernance politique du pays pendant cette transition a été défaillante, mais ce n’est pas uniquement à cause du gouvernement central et provisoire, mais aussi de la faillite des partis politiques et de la société civile". Et de poursuivre : "Penser que cette mauvaise gouvernance va se transformer par miracle le 23 octobre en une bonne gouvernance par le seul fait de l’élection d’une assemblée constituante, serait faux." Chedly Ayari multiplie les mises en garde, "nous ne pouvons pas nous permettre deux années de croissance négative, sinon ce sera un autre 14 janvier, qui sera cette fois-ci ingérable et mènera la Tunisie vers l’inconnu".

"A partir d’octobre, il peut y avoir une nouvelle culture de la gestion politique du pays, c’est à ce moment-là, qu’il y aura une véritable transition démocratique", souligne-t-il en demeurant sceptique : "ce qui m’inquiète c’est l’inconscience des grands enjeux du pays, qui sont occultés par la course au leadership et à la légitimité". Cet économiste chevronné prône un pacte social tunisien postrévolutionnaire en une économie ouverte sur une mondialisation en crise mais de moins en moins régulée. Quel que soit le modèle qui sera suivi en Tunisie, celui du libéralisme ou celui de la régulation, c’est avec cette donne qu’il aura à composer.  

Iadh Ben Achour : "La Tunisie est dans l'œil
du cyclone"
Pour Iadh Ben Achour, la Tunisie est en train de passer d’un régime de despotisme et de monlithisme absolus à un régime qui nous apportera les libertés. "Le concept des libertés n’est pas bien compris par la population, beaucoup confondent entre liberté et licence, ce qui rend notre transition démocratique difficile", déplore-t-il. La Tunisie navigue dans un océan extrêmement agité, selon le président de la haute instance. "Malgré les difficultés, les avatars et le prolongement de cette période jusqu’au mois d’octobre, nous comptons sur la maturité du peuple tunisien et de son élite pour arriver à bon port".

Iadh Ben Achour évoque l’existence d’une certaine inquiétude quant à la démocratie en Tunisie. "Nous sommes dans l’œil du cyclone. Dire que nous avons des acquis définitifs, c’est être présomptueux et ne pas connaître le sens de l’histoire. Les révolutions de part l’histoire ont conduit à des catastrophes". "Si on veut éviter l’effet négatif, et le boom-rang, on ne peut compter sur rien d’autre que sur nos forces et l’importance de notre société civile, les partis politiques restent importants, mais ce sont la source de problèmes", estime-t-il. "Mon espoir, ce n’est pas dans la culture partisane que je le place, car de ce côté-là il y a des difficultés, mais dans le mouvement associatif et syndical", conclut-il.

H.J.



 

Commentaires 

 
+1 #24 Il y a de l'espoir!
Ecrit par Dr Jamel Tazarki     06-08-2012 20:53
Ce qui angoisse ce n’est pas seulement l’inflation de 6% (ce qui fait un niveau des prix égal à 1,06) mais plutôt le remboursement de nos dettes extérieures. Il va falloir bientôt nous faire de nouvelles dettes afin de rembourser les dettes que Monsieur Ben Ali a faites! Mais cette fois-ci à un taux d’intérêt très élevé! Ceci signifie aussi qu’il faut abandonner tous nos projets d’investissements publics: la crise du logement, la pénurie d’eau et d’électricité, l’aide sociale…

Apprenons à penser différemment pour aller mieux: Notre façon de penser détermine notre moral, notre vie toute entière. Si nous sommes sans arrêt catastrophiste, si nous voyons la vie en noir, si nous pensons que tout va mal et que tout continuera à aller mal, nous ne saurons jamais nous en sortir. Un tel état d’esprit ne peut que nuire au bon déroulement de notre vie et de celle de notre entourage. Je fais les propositions suivantes:

I) Banque Centrale: Il faut que l’on apprenne à faire de l’argent avec l’argent. Notre banque centrale a le droit de faire des gains et des bénéfices:
1) Les revenus d'intérêts
2) Les achats d'obligations
3) activité de prêt
4) L'investissement financier à l'étranger
5) Les gains des transactions de change
6) Le seigneuriage
7) commerce transfrontalier
Etc.

Seulement avec les activités dans le domaine des transactions de change la banque centrale allemande fait en moyenne 10000 Millions d’euros de gain net par an! Récemment l'euro a perdu plus de 16% de sa valeur par rapport au dollar! Qu’est-ce qu’a fait notre banque centrale afin de profiter de cette situation? Rien! Ainsi notre stock en devise perd quotidiennement de sa valeur à cause de la passivité de nos responsables! Les interventions sur le marché des devises n’est pas seulement la tâche du gouverneur de la banque centrale mais aussi du secteur financier du ministère des Finances.

II) autosuffisance: le Tunisien doit parvenir à devenir partiellement (à 50%) autosuffisants pour sa nourriture et son habillement. Je propose d’introduire la culture hydroponique et urbaine!

III) politique:
1) Il faut que chaque élu accepte la transparence absolue sur son patrimoine pendant son mandat.
2) le vote doit devenir obligatoire

IV) Il y en a marre des nahdhaouistes, Monsieur Marzouki réagissez enfin!
L’avenir de la Tunisie est entre les mains de Monsieur Moncef Marzouki. Il peut graver son nom dans l'histoire et laisser une marque de son passage sur terre. Ennahdha a fait une très grande faute d’avoir nommé un président qui n’est pas de ses propres rangs. Ainsi, Monsieur Moncef Marzouki peut en tant que président de la république à tout moment:
1) limoger le premier ministre (Monsieur Hamadi Jebali).
2) proposer un nouveau premier ministre au parlement
3) le nouveau premier ministre peut ainsi créer un nouveau gouvernement de techniciens.

Monsieur Moncef Marzouki est en vérité l’homme qui a le plus de pouvoir en Tunisie mais apparemment il ne le sait pas encore. Il est temps qu’il fasse quelque chose pour le pays. Mon conseil pour lui: Faites attention à ce que vous mangez et buvez au palais de Carthage et réagissez enfin pour sauver notre Tunisie!

Dr. Jamel Tazarki
Allemagne
www.go4tunisia.de
 
 
+1 #23 Peuple manipule par les opposants de la démocratie!
Ecrit par M-ali     19-01-2012 18:09
C'est vraiment étrange, après plus de 50 ans de corruption du pouvoir et de passivité du peuple, les tunisiens veulent d'un coup juger un gouvernement élu qui n'a même pas entame un mois!!!!!!!!
Il faut se réveiller peut être, il faut du temps et de la patience, un gouvernement élu pour la première fois dans l'histoire de la Tunisie va être juge dans un an selon ses réalisations...les élections prochaines montreront ce que voudrait le peuple: ou bien de garder ces élus ou bien de les faire envoyer chercher ailleurs..C'est cela l'alternance au pouvoir.
 
 
+2 #22 vérités
Ecrit par arfa     12-12-2011 11:19
Messieurs Ayari et Achour n'ont dit que la vérité sur la situation actuelle de la Tunisie .Il faut cesser l'euphorie de la révolution .Faire cesser les sits-in les grèves sauvages et appeler le peuple à retourner au travail lui expliquer la situation le convaincre qu'il faut donner le temps au temps et qu'un gouvernement de technocrates prenne les choses en main pour trouver des solutions car une démocratie"théorique" n'est pas une si le pain quotidien n'est pas assuré pour chaque tunisien les organisations ouvrières et civiles les partis ont une grande responsabilité en ce domaine ils doivent surtout éviter les manipulations partisanes .
 
 
+2 #21 New RCD bientôt dans vos urnes
Ecrit par Evan     09-08-2011 13:30
Si seulement la population avait eu des gages de vrai changement et de réelle justice .
Au lieu de ça, on observe des manœuvres bizarres pour ne pas dire troublantes. Beaucoup de choses qu'on observe nous fait supposer que le système RCD refait surface. Tel un caméléon essayant de se fondre dans le nouvel environnement pour mieux le dominer. Le but des privilégiés d'hier : retrouver leur rang et commander de nouveau les tunisiens. Première étape : passer entre les mailles de la justice (Tekkari, Zouari..)
La corruption, la voracité, l'arbitraire, le culte d'un président divinisé, la répression, les snipers, les cartouches ont l'air d'être oublié alors que les Martyrs de la Dignité ne sont en terre que depuis quelque mois.
Pour conclure, l'argument "Il faut vous taire (et obéir au new-RCD) parce que l'economie s'effondre" doit être mis en perspective. L’économie est en train de plonger partout dans le monde, l'inflation des prix des matières premières a touché la Terre entière ces derniers mois. Même sous la conduite du Grand Parti Destouro-Trabelsien, la Tunisie aurait connu des grandes difficultés.
 
 
+2 #20 Abus de langage
Ecrit par KHAMMOUS     07-08-2011 00:25
Abus de langage d appeler la periode actuelle de transition democratique .C est aussi un abus de langage e l appeler Revolution car une revolution se prepare par ses philosophes des decennies avant .
 
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