A l’ARP, Macron livre sa vision sur la Tunisie, le Maghreb et le monde arabe

Publié le Jeudi 01 Février 2018 à 14:05
Emmanuel Macro, jeudi 1er février à l'ARP. Le discours du président français, Emmanuel Macron, ce jeudi 01er février, au parlement fera date. Il y a désormais le discours de Tunis de Macron, à l’instar du discours du Caire d’Obama. Mais entre les paroles et les actes, il y a toujours un long chemin à parcourir.

 Emmanuel Macron s’est engagé ce matin devant l’Assemblée des représentants du peuple, à aider la Tunisie, "non pas comme on aide un ami, mais comme on aide un frère et une sœur". Dans un long discours improvisé et lyrique, le chef de l’Etat français n’a pas uniquement parlé à la Tunisie, mais également au Maghreb, à l’Afrique et au monde arabe.

"La Tunisie a une immense responsabilité de réussir et la France fera tout ce qu’elle peut pour vous y aider, comme on aide un frère ou une sœur, parce que nous avons une histoire en partage marquée par des heures glorieuses et des heures sombres, une langue en partage, et tant de vies en partage", a-t-il souligné devant un hémicycle au complet. 

Macron a salué "la force d’âme, et le courage de ce petit pays" qu’est la Tunisie, qui "bousculé par des vents mauvais, a compris que l’égalité homme/ femme, la liberté de conscience…, ce n’est pas l’exclusif d’une seule rive, un relativisme culturel, mais un trésor, et un universalisme, né en Méditerranée des deux cotés des rives".

"La France n’a d’autre choix que celle de voir la Tunisie réussir dans ce moment historique, de faire triompher les valeurs qui sont les nôtres, pour ne pas faire bégayer notre histoire, pour endiguer l’obscurantisme que certains veulent faire prospérer, et pour montrer au monde entier que cela reste possible", a-t-il indiqué. 

"Pour y arriver, il faut gagner cette bataille essentielle pour la sécurité et la stabilité. Vous avez été frappés par le terrorisme et l’obscurantisme. Nous avons souffert dans notre chair du terrorisme le plus abject", s'est-il élevé, promettant le soutien françains pour "lutter activement contre le terrorisme, son financement, à travers l’échange d’informations, et la coopération au sujet de ceux et celles qui reviendront des terres de bataille".

Macron s’en prend à Sarkozy sans le nommer sur la Libye
"Cette sécurité est indispensable pour vous, et c’est celle que nous vous devons dans la région", a-t-il dit, évoquant à demi-mot la responsabilité de la France, notamment de Nicolas Sarkozy, dans ce qui se passe actuellement en Libye.

"Lorsque beaucoup ont décidé d’en finir avec le dirigeant libyen", ils ne l’ont pas fait selon un projet politique qui tienne compte de l’après, a-t-il dit en substance. "L’Europe, les Etats-Unis et quelques autres ont une responsabilité quant à la situation actuelle. "En imaginant qu’on pouvait se substituer à la souveraineté d’un peuple pour destituer un tyran, et que cela suffisait à régler le problème, on a plongé la Libye dans l’anomie", a-t-il reconnu, déplorant l’impact sur la Tunisie en termes économique et de sécurité.

"Vous vivez avec ce risque, cette menace, et cette situation à vos côtés qui vous fragilisent", a-t-il regretté, promettant "toute l’énergie de la France pour œuvrer à une stabilité en Libye, et dans toute la région". 

"Faire de la Tunisie un lieu d’éducation et de référence"

"Vous avez fait le choix dès l’indépendance de former et d’éduquer, ce fut le choix courageux du président Bourguiba, unique dans toute la région", s’est-il félicité, qualifiant la Tunisie de "nation éclairée". La France accompagnera cet effort en continuant ses investissements  à travers un partenariat renforcé dans le domaine de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, a-t-il promis, annonçant la création de l’université tuniso-française pour l’Afrique et la Méditerranée, "emblématique de cet esprit de partenariat éducatif, qui accueillera ses premiers étudiants en 2019, parmi la jeunesse de Tunisie, du Maghreb, et de toute l’Afrique". L’objectif est de faire de la Tunisie "un lieu d’éducation, de référence et de passage, un lieu où les élites auront convergé le temps des études". 

Il a évoqué "une offre éducative complète, une offre de référence pour toute la région, pour continuer à éduquer le plus haut possible la jeunesse", promettant une multiplication des visas de circulation pour faciliter les échanges.

Il a annoncé l’inauguration de la première alliance française, "un projet tunisien qui permet d’enseigner davantage la langue française, et multiplier les partenariats et les projets économiques et culturels". "Six alliances françaises verront le jour à travers tout le pays qui permettront d’irriguer et de nourrir cette passion".

Il a évoqué l’engagement pour la francophonie qui est "une opportunité et un trait d’union en méditerranée".

Il a dit appuyer la décision de la Tunisie de recevoir le sommet de la francophonie en 2020, faisant part de sa décision de doubler d’ici deux ans, le nombre d’apprenants du français,  en vue de promouvoir la francophonie "qui n’est pas une langue, mais une culture, laquelle est indispensable pour la réussite de la Tunisie". Il a promis un accompagnement de la France sur le projet de Carthage, qui permettra à la Tunisie "de retrouver la force et le sublime de son passé antique, à travers un formidable travail patrimonial et archéologique indispensable à conduire". 

"L’enjeu est de réussir la transition économique en Tunisie"
"Le problème qui est le votre aujourd’hui est de permettre aux classes moyennes de vivre mieux, d’améliorer le pouvoir d’achat et d’aider les jeunes à construire un avenir professionnel".

Le président français a annoncé au total une enveloppe de 1,750 milliard d’euros pour accompagner la Tunisie dans ses choix macro-économiques, dont 500 millions euros entre  2020 et  2022, et un plan d’urgence de 50 millions d’euros accordés par l’Agence française de développement (AFD), pour aider les plus jeunes entrepreneurs de tous les secteurs, et les accompagner dans leurs projets. Il a promis de doubler les investissements français pendant son quinquennat.

"La réussite économique passe par un renforcement des liens entre la Tunisie et l’Union européenne", a-t-il estimé, promettant un soutien de la France sur l’ALECA (Accord de libre-échange complet et approfondi), et "dans toutes les mesures prises pour accroitre le rapprochement et l’intégration entre nos deux pays et entre la Tunisie et l’UE".

La Méditerranée, un cimetière des espoirs déçus
"La Méditerranée est devenue un cimetière des espoirs déçus et impossibles, car, nous avons échoué à reconstruire l’espoir sur le continent africain". Macron a plaidé pour "un projet partagé pour donner un autre visage à la Méditerranée, au Maghreb et à l’Afrique".

"Brisons les trafiquants du bonheur qui sont ces passeurs clandestins indéfectiblement liés aux terroristes", a-t-il lancé, estimant que le défi est d’essayer de trouver "une stratégie commune, et un imaginaire commun".

Le locataire de l’Elysée a proposé que la France puisse accueillir cette année une première réunion des dirigeants, de la jeunesse et de la société civile  des pays méditerranéens, européens et maghrébins pour pouvoir se parler et décider ensemble d’une stratégie commune pour la méditerranée.

Politique arabe de la France ?
"Je ne sais pas s’il peut y avoir une politique arabe de la France. Les tensions sont telles entre acteurs eux-mêmes qu’il est impossible de répondre à cette question aujourd’hui", a-t-il avoué,  signalant qu’il n’y aura aucune politique arabe possible si on fait deux erreurs qu’il dit ne pas vouloir commettre.

"On ne peut construire une politique arabe hors du monde arabe, ceux qui ont essayé de destituer des dirigeants à des milliers de kilomètres se sont trompés ; ceux qui pensent qu’on peut régler des conflits structurants à des milliers de kilomètres se trompent". Idem pour ceux qui pensent régler le conflit israélo-palestinien à distance.

Il a indiqué que "la France fera tout pour qu’il y ait dans les prochaines années une issue heureuse au conflit israélo-palestinien, avec la reconnaissance de deux Etats libres, avec chacun pour capitale Jérusalem, et avec des frontières reconnues".

Au Maghreb, au Machreq, au Moyen, et au Proche-Orient, les solutions profondes viendront des peuples eux-mêmes, a-t-il affirmé.

"Le défi qui nous attend en Syrie est de cette nature. Il faut gagner la paix mais en construisant la souveraineté du peuple syrien et lui permettre de pouvoir choisir et construire son avenir."

Il a promis "un dialogue ferme et franc partout au Maghreb, Machreq, Moyen et Proche-Orient, avec des puissances politiques dont on ne partage pas les valeurs". Il a plaidé pour la construction de ce pluralisme qui permet au pays de tenir, et aux minorités d’être respectées.

"C’est ce qu’on a fait au Liban, et ce qu’on continue à faire en Syrie et bien d’autres pays, c’est le fait de préserver et construire ces modèles pluralistes où l’ensemble des minorités seront respectées dans un pays, avec le respect de l’intégrité et la souveraineté de celui-ci".

Se garder de s’enfermer dans le schisme

Macron s’est inscrit en faux contre les schismes qui divisent le monde arabe. "Il n’y a pas d’avenir possible, si on accepte de nous enfermer dans le schisme"." Il y a une crise dans le monde arabe du fait des visions différentes entre modernité et tradition, sur ce qui est le culte, des projets différents…Si on décide qu’un camp est mauvais, si on construit une brisure, c’est qu’on se trompe. Le pluralisme est d’avoir cette force au-delà de toutes les tensions, et de s’élever au dessus de cela pour construire ce qu’est le bien commun, l’intérêt souverain de nos peuples et la paix dans notre région au sens large".

Le chef l’Etat français a plaidé pour l’intégration maghrébine, à même d’apporter "forces et opportunités". Tout en disant reconnaître les différends qui existent, il a considéré que "le Maghreb ne pouvait réussir s’il reste cloisonné, et si la route d’Est en Ouest n’existe plus". 

"Vous êtes une grande nation d’Ibn Khaldoun à Bourguiba en passant par Chebbi, des héros du monde syndical et politique. Il y a des héros à faire qui sauront relever les défis en Tunisie, au Maghreb et en Méditerranéen", a-t-il prôné,  concluant son discours par tayha tounes vive la Tunisie.

Gnet