Tunisie/Suppression du CAPES : Oui, mais quelle alternative ?

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Publié le Dimanche 10 Juillet 2011 à 15:00
Aucune technique de recrutement n’a été aussi décriée et abhorrée que le CAPES, concours d’aptitude à la profession d’enseignant du secondaire qui n’est pourtant pas une spécificité tunisienne puisque de nombreux pays y compris la France y recourent. En outre le déséquilibre entre une offre de postes d’enseignants qui tourne autour de 3000 postes par an et celui de la demande estimée à plus d’une centaine de milliers de candidats nécessite l’organisation d’un concours.

Mais le dépit de nombreux candidats qui repassent régulièrement le concours et ne réussissent pas, alors que des plus chanceux, moins brillants dans leurs études remportent le sésame d’une part, et l’ambiguïté et le mystère qui entourent le concours d’autre part ont suscité l’émergence d’une opinion publique totalement opposée au CAPES. En effet, le doute a toujours plané sur les résultats, des rumeurs d’interventionnisme et même de pots de vins n’ont cessé de circuler mettant en cause la crédibilité du concours.

La question mérite donc de faire l’objet d’une consultation élargie auprès des étudiants, enseignants et représentants de la société civile afin de garantir à la fois l’équité parmi les candidats et la primauté du mérite pour le recrutement même si une proportion déterminée pourrait être consacrée aux cas sociaux.

On ne comprend donc pas la raison de l’empressement du gouvernement de transition à décréter la suppression du CAPES sans envisager d’alternative alors que le prochain concours devrait être organisé, si tout va bien, après les élections de la l’Assemblée constituante et non sous l’égide de l’actuel gouvernement. De plus, on annonce que le recrutement des professeurs se ferait dans les mêmes conditions que les autres recrutements de la fonction publique, désormais gérés par le Décret 544 de l’année 2011, qui a institué le principe des concours sur dossiers. Ce décret dit-on répond à la volonté populaire et à la révolution de la dignité. Seul un petit entretien psychotechnique complèterait le verdict « objectif et bureaucratique » implacable des dossiers.

Il s’agit là, à notre avis, d’une pratique contraire aux principes de gestion saine et efficiente des ressources humaines et qui contredit toute logique d’équité et d’égalité des opportunités, en induisant une ségrégation entre les demandeurs d’emploi.
En effet, le décret susmentionné ne prend pas en considération les aptitudes spécifiques des candidats telles que le sens de la communication, les capacités de persuasion, leur degré d’adaptation, leurs réactions, leurs compétences relationnelles et autres critères essentiels pour la réussite professionnelle que les dossiers ne peuvent révéler.
Quant aux critères adoptés pour déterminer le score du candidat et que nous présentons ci-dessous, ils nous paraissent ségrégationnistes et inéquitables et il apparaît clairement qu’ils ont été adoptés pour des considérations politiques et populistes en vue de satisfaire des catégories de protestataires et d’intégrer les chômeurs de longue date, ce qui est légitime d’un point de vue social mais discriminatoire et inacceptable du point de vue éthique car il exclut les nouveaux sortants quels que soient leur compétence et leur mérite et les condamne à l’égalité en matière de chômage.

Les 5 critères sont :
- L’année d’obtention du diplôme : Ce critère octroie 2 points pour chaque année de sortie précédant 2011 avec un plafond limité à 30 points. Et comme le nombre actuel des diplômés en chômage est estimé à 170.000, dont au moins 10.000 ayant obtenu leurs diplômes depuis plus de 10 ans, ces derniers auront droit à une bonification qui varie de 20 à 30 points ; il est donc tout à fait impossible que les sortants des cinq dernières années puissent les concurrencer et avoir une chance d’être recrutés.

- L’âge du candidat : Ce critère permet de bénéficier d’un point supplémentaire pour chaque année au-delà de 20 ans. Or comme chaque année de chômage se traduit par une année de plus au niveau de l’âge, il ne serait qu’une simple redondance du précédent et accroit le fossé entre les anciens diplômés et les nouveaux sortants. Pire encore, il signifie carrément, qu’un excellent étudiant qui n’a jamais redoublé au cours de son itinéraire scolaire et universitaire et qui obtient la licence à 22 ans, obtient 2 points de bonification alors qu’un étudiant limité qui a redoublé plusieurs fois et qui achève ses études à 27 ans, en obtient 7, de quoi inverser les valeurs et les paramètres puisqu’avec une telle logique, un étudiant n’a aucun intérêt à exceller et comme il sera inéluctable qu’il choisisse de perdre au moins 4 ou 5 ans en études ou en chômage, la première opportunité est meilleure. Nous sommes en présence d’une ségrégation sur la base de l’âge.

- La situation familiale du candidat : ce critère accorde 5 points supplémentaires aux candidats mariés ou ayant des enfants à charge. Il ne soulève donc pas à priori de controverse.

- Le diplôme : il s’agit de se référer uniquement à la moyenne de l’année d’obtention du diplôme ce qui constitue une importante incohérence dans la mesure où il ignore l’itinéraire universitaire et ne distingue pas entre celui qui a redoublé plusieurs fois et celui qui a toujours réussi. Il ne prend pas non plus en considération les spécificités et la nature de la formation car un étudiant en sciences ou techniques peut obtenir une moyenne élevée alors qu’il est très difficile pour les étudiants des spécialités littéraires et humanistes de dépasser la mention « assez bien ». Et même au sein de la même spécialité les moyennes des options feront la différence. N’oublions pas non plus que les moyennes et les notes diffèrent d’un établissement universitaire à l’autre et que les étudiants ne sont pas soumis aux mêmes épreuves et ne peuvent pas donc être comparés entre eux. (C’est comme si on comparait le temps réalisé par un athlète sur 100 mètres haies avec celui d’un autre obtenu sur 100 mètres plats). Il ne serait donc pas étonnant que l’adoption d’un tel critère favorise la propagation des cours particuliers à l’Université et d’autres phénomènes pervers pour s’assurer d’une moyenne élevée lors de l’année de sortie et qu’elle engendre une inflation des notes pour des « considérations humanitaires ».

- Les stages de formation : Ce critère octroie un demi-point pour chaque mois de stage effectué et qui ne s’intègre pas au cursus de formation obligatoire. Il ne manque pas non plus de défauts à cause de l’extrême difficulté d’obtention de ces stages qui dépendent, souvent, des relations et des interventions, et ne s’offrent pas équitablement à tous les candidats. Il renforce, par ailleurs, la discrimination entre les habitants des grandes villes qui disposent d’un important tissu économique et administratif et ceux des petites villes, des villages et des campagnes. On ne peut pas non plus exclure l’apparition de pratiques malsaines telles que les attestations mensongères ou le trafic de certificats de stage.

Il est donc clair que le texte adopté a été conçu à la hâte et sans analyse approfondie et qu’il n’a pas pris en considération l’avis des spécialistes. On peut craindre des résultats néfastes auprès des étudiants qui découvriront qu’ils ont été les dindons de la farce de la suppression du CAPES et qu’ils seront exclus du recrutement dans la fonction publique pour plusieurs années.
Il consolide également la médiocrité en marginalisant le paramètre le plus important en matière de recrutement qui est le mérite, lequel récompense les plus méritants et garantit à l’employeur la bonne performance et la qualité du travail, et en supprimant les épreuves des concours qui demeurent le meilleur instrument de sélection en cas de volonté de transparence et d’objectivité.

Nous comprenons le souci du gouvernement transitoire de satisfaire les demandes de chômeurs de longue date, mais l’emploi est-il un droit pour les plus compétents ou une mesure sociale destinée uniquement aux candidats démunis et ceux qui sont à le recherche d’un emploi depuis de longues années ?

La responsabilité à l’égard du pays et de la nécessité d’améliorer la productivité et d’élever le rendement exige de ne pas ignorer la compétence et le mérite pour les recrutements. Mais il serait peut-être logique de consacrer une proportion donnée (20% par exemple) des offres d’emploi dans la fonction publique aux diplômés chômeurs de longue date, mais on doit veiller à l’organisation de concours nationaux ou régionaux, présentant toutes les garanties de transparence pour le reste des postes.

Mohamed AK

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Commentaires 

 
-3 #5 avec le mérite,avec le capes
Ecrit par mohsen     12-01-2012 21:10
ça serait un suicide pour l'éducation si la mauvaise et l'injuste idée de recruter sur dossier est mise en oeuvre.la majorité écrasante des diplomés sont avec un concours mais un concours transparant.
 
 
-2 #4 RE: Tunisie/Suppression du CAPES : Oui, mais quelle alternative ?
Ecrit par sajida lilah     09-12-2011 09:59
je suis l'un des anciens candidats c'est pour quand ce concours svp ?[/u
 
 
-4 #3 RE: Tunisie/Suppression du CAPES : Oui, mais quelle alternative ?
Ecrit par el manchou     14-07-2011 14:17
c'est simple : on remplace le capes par le piston
 
 
-2 #2 L'enseignement, une affaire de spécialistes
Ecrit par Sami Boussoffara     13-07-2011 07:55
Le Capes est un concours opaque qui a été à l’origine de nombreuses injustices et alimenté d’innombrables frustrations. Vous avez raison de poser la question des voies alternatives d’entrée et de sélection des candidats. Il s’agit de faire en sorte que notre enseignement secondaire attire les meilleurs profils et les mette au service de nos enfants. Croire ou faire croire qu’aucune restriction, sélection ou tri ne pèsera plus sur la ou les voie(s) d’entrée à l’enseignement est dangereux. Faire croire que l’emploi des jeunes passe par des recrutements de masse dans les différents cycles de l’enseignement est malhonnête. Introduire des quotas relatifs aux familles nécessiteuses et aux chômeurs de longue durée est criminel.
 
 
+5 #1 SIVP
Ecrit par ecolo     10-07-2011 20:31
Je vous signale que le même problème se pose pour le SIVP mis en oeuvre en 2005.
Les jeuns diplômés d'avant 2005 ayant une petite expérience (et donc affilié à la CNSS) ne peuvent pas bénéficier du SIVP. Pire que cela : alors que c'est censé être un stage pour insérer le diplômé dans le monde du travail, les entreprises se sont mises à ne recruter que des SIVP et l'état a laissé faire de sorte que ça a mis sur le carreau tous les diplômés d'avant 2005 qui se chiffrent par milliers. Rares sont les entreprises qui recrutent en CDI avec un régime normal d'affiliation du salarié à la CNSS. Et cela, touche tous les secteurs pas seulement l'enseignement.
 
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