Tunisie : Ettakattol doit-il participer au prochain gouvernement ?

Imprimer
Publié le Vendredi 18 Novembre 2011 à 14:42
Mustapha Ben Jaafar. Beaucoup s’interrogent sur la participation d’Ettakattol dans un futur gouvernement dirigé par un premier ministre-candidat déjà désigné par le parti qui a remporté le plus grand nombre de sièges à l’assemblée nationale constituante (ANC). Les deux principaux arguments avancés par les responsables de ce parti étaient les suivants :

1/Les électeurs d’Ettakattol ont voté pour nous pour que nous accédions au pouvoir et, donc, ils ne comprendraient pas qu’aujourd’hui nous fuyions nos responsabilités et que nous restions dans l’opposition.
2/Nous préférons être dans le gouvernement pour ne pas laisser le champ libre à Ennahdha dans toutes les nominations aux postes clés de l’appareil de l’Etat et l’empêcher ainsi d’avoir la main mise sur l’administration, si telle était son intention.

Le premier argument semble pour le moins discutable car les électeurs qui ont voté pour Ettakatol le 23 octobre ont voté :
-Pour l’image d’un leader opposant historique connu pour son honnêteté, sa moralité, sa droiture, ses positions de principe (non participation au gouvernement de Mohamed Ghannouchi par ex.) et son respect des promesses faites à ses partisans.
-Pour un programme socio-économique et un projet sociétal et constitutionnel progressiste et démocratique très différent de celui d’Ennahdha.

Ces électeurs ont voté pour une constituante (a priori pour une durée d’un an) et non pour des législatives. Ils demandent à leurs élus de leur écrire une bonne constitution et de prendre les premières mesures urgentes dans les domaines de l’emploi, du développement régional, de la justice transitionnelle et de la sécurité dont ont besoin les populations les plus démunies des régions intérieures, d’où est partie la révolution. Ils leur demandent aussi d’adopter le budget 2012 et de voter la loi organisant les prochaines élections législatives et /ou présidentielles.
Vont-ils comprendre la participation à un gouvernement d’unité ou d’intérêt national qui ne sera en fait qu’un gouvernement de coalition des 3 principales forces issues des élections ?
Ne vont-ils pas se sentir « abusés » pour des questions d’intérêts politiciens conjoncturels, voire d’égos personnels masquées sous le sceau du sens du devoir national et de la nécessaire recherche du consensus durant cette période transitoire ?

Le deuxième argument de ne pas laisser le champ libre à Ennahdha pour les nominations et une éventuelle main mise sur l’administration et les postes clés de l’Etat semble recevable au premier abord.

Mais, avec moins de 10% des sièges à l’ANC, tout parti rentrerait en position de faiblesse dans ce gouvernement. Si l’on accepte, sans discussion, le principe que le gouvernement soit dirigé par un Premier ministre issu du parti qui a obtenu le plus grand nombre des sièges à l’ANC, on entérine le rapport de force (40% contre 10%) et l’on se place, de fait, en situation minoritaire dans le gouvernement. Comment alors peut-on discuter d’égal à égal avec Ennahdha et le CPR.

Il devient illusoire de penser qu’Ettakattol puisse s’opposer à d’éventuelles nominations et décisions d’Ennahdha et du Premier ministre. Solidarité gouvernementale oblige. En cas de conflit, ses ministres n’auront d’autre solution que de quitter le gouvernement. Le parti endosserait alors, seul devant l’opinion publique, la responsabilité d’une crise gouvernementale, des blocages qui s’en suivraient et du retard même que cela pourrait avoir sur la rédaction de la constitution. Si son leader occupe la fonction de président de la République ou de président de l’ANC, ce parti sera otage de sa participation. Comment envisager, en effet, qu’en cas de mésentente grave, les ministres de ce parti démissionnent du gouvernement et que leur leader puisse rester en fonction ?

En revanche, en restant hors du gouvernement, au sein d’une minorité « parlementaire » vigilante et responsable, il lui sera toujours possible de contester démocratiquement, notamment grâce à une presse libre et à la société civile mobilisée et vigilante, les nominations ou décisions éventuelles qu’il jugerait contraires à la transition démocratique et non conformes à ce qu’exige cette période transitoire de « neutralité » et de recherche du consensus dans la gestion courante des affaires de l’Etat.

De l’utilité même d’un gouvernement d’unité nationale ou d’intérêt national.
Ce type de gouvernement peut trouver sa justification en période post révolutionnaire, en cas de vacance du pouvoir, jusqu’à retrouver un pouvoir légal et légitime sorti des urnes. Doit y participer, alors, la plus grande majorité possible des forces politiques en présence et sous la direction d’un chef du gouvernement « neutre », situé hors des partis.
On ne peut plus appeler à un gouvernement de ce genre quand une majorité et une minorité se sont dégagées démocratiquement des urnes. Rappelons, qu’actuellement, le pays n’est pas en guerre. Ennahdha propose un gouvernement « d’ouverture » plutôt qu’un gouvernement de partage équitable et équilibré du pouvoir. En associant le CPR et Ettakattol, voire d’autres formations minoritaires, et en jouant sur la corde sensible du sens patriotique et de la nécessité de l’esprit de consensus pendant la prochaine période transitoire, elle cherche à :
- tempérer son image de parti islamiste et à rassurer les instances internationales (BM,FMI, G8,UE, etc.) et les Tunisiens qui n’ont pas voté pour elle.
- diviser et donc affaiblir la minorité élue.
- partager les risques d’échec d’un gouvernement qui va exercer ses fonctions dans des conditions difficiles durant l’année qui vient.

3 scénarios semblent envisageables :

Scénario1 : Coalition Ennahdha+CPR +Ettakattol.
Ettakattol sera otage de sa participation et devra être solidaire du parti « majoritaire » pour éviter d’endosser, aux yeux de l’opinion publique, la responsabilité d’une crise gouvernementale grave.
A la fin du mandat théorique d’un an :
-soit le bilan gouvernementale est positif ; Ennahdha s’en attribuera la paternité et aura un bon bilan à faire valoir pour les législatives et présidentielles.
-soit le bilan est mitigé, voire négatif et elle fera partager la responsabilité à ses partenaires dans le gouvernement.

Par ailleurs, cela affaiblirait considérablement le camp des démocrates progressistes qui seront privés de 2 composantes essentielles car historiques et les plus nombreuses en sièges à l’ANC.

Par ailleurs, comment Ettakattol va aborder la campagne électorale législative et présidentielle et convaincre les électeurs qu’il a un programme économique et social et un projet de société différent d’Ennahdha, en ayant partagé avec elle la gestion des affaires courantes pendant un an ? Cela ne risque-t-il pas de brouiller son image vis-à-vis du public et de lui faire perdre une bonne partie de son électorat actuel ?

Scénario 2 : Coalition Ennahdha+CPR.
Plutôt que d’une coalition, il s’agirait plutôt d’un ralliement du CPR à une famille politique dont certains de ses membres sont bien proches. Hypothèse possible mais qui parait peu probable car le SG du CPR pourrait ne pas être perçu comme un allié « sûr » par Ennahdha qui a besoin de stabilité et d’éviter toute contestation de l’action gouvernementale et toute crise pendant l’année à venir.

Scénario3 : Le CPR et Ettakattol ne participent pas au gouvernement.
Ennahdha n’a plus la majorité. Dans ce cas :
-Soit elle tient à diriger le futur gouvernement tunisien et elle va proposer un PM issu de ses rangs qui va désigner des ministres habilités à prendre des mesures d’urgences sur lesquelles la majorité de l’ANC seront d’accord. Le PM peut alors s’entendre avec le camp démocrate sur une feuille de route comportant une série de mesures essentiellement économiques qu’il fera voter par l’ANC.

Les composantes de la « minorité parlementaire » auront ainsi participé au consensus nécessaire sans être directement impliquées dans l’action gouvernementale.
Les forces démocrates se situeront dans le cadre d’une « opposition » vigilante et responsable qui ne bloquera pas l’action gouvernementale sur les décisions importantes, urgentes et nécessaires. Et c’est ainsi que pourra s’exprimer le consensus, avec l’existence d’un véritable contre-pouvoir.
-Soit le blocage est total et l’ANC désigne un gouvernement de « technocrates » sous l’autorité d’un PM en dehors des partis, à qui elle donnera une feuille de route des mesures urgentes à prendre sur le plan économique et social pour cette période transitoire, et elle se concentre sur sa mission principale qui est la rédaction de la constitution.

On peut également envisager qu’Ennahdha soit alors minoritaire dans l’ANC et que le « curseur majoritaire » se déplace vers le camp démocrate progressiste.
Vu le rapport de forces actuel en Tunisie, la participation d’Ettakattol dans un gouvernement qui n’inclurait pas toutes les composantes représentées à l’ANC, voire des compétences en dehors de l’ANC :
- conforterait davantage, s’il en était besoin, Ennahdha dans sa position de parti dominant.
-affaiblirait durablement le camp des démocrates qui est déjà multiple et pas encore unifié.
-ne donnerait aucune garantie de contrôle sur les décisions stratégiques qu’Ennahdha serait tentée de prendre pendant la période à venir.
-l’affaiblirait pour les prochaines élections en lui faisant, très probablement, perdre bon nombre de ses nouveaux adhérents et cadres qui ont déjà manifesté leur refus de participer au nouveau gouvernement et sans doute une partie de ses électeurs qui ont choisi Ettakattol et qui ne sont nullement d’accord avec les options socio-économiques sociétales et constitutionnelles d’Ennahdha.

En politique, comme dans beaucoup d’autres secteurs, la composante psychologique est fondamentale. Ennahdha a pris l’ascendant en imposant le diktat que le premier ministre doit être issu de ses rangs et a lancé la course à l’échalote pour les autres postes. Pour Ettakattol, il n’est pas trop tard pour inverser la vapeur, si l’on place réellement l’intérêt national au-dessus de tout.

Dr Faouzi CHARFI

Soyez des journalistes citoyens
Cette rubrique est aussi la vôtre. Si vous souhaitez exprimer vos coups de cœur, coups de gueule ou revenir sur n’importe quel sujet qui vous tient à cœur, un événement qui vous interpelle, vous pouvez le faire en nous faisant parvenir vos écrits en cliquant  ici.
GlobalNet se fera un plaisir de les publier, avec ou sans la signature de leurs auteurs. Vous avez tout à fait le droit de garder l’anonymat ou de signer avec un pseudo.



 

Commentaires 

 
+2 #6 CALMER LE JEU ? COMMENT ??
Ecrit par khammous     20-11-2011 17:32
A CITOYEN ET rosejazBT
Bien sûr il est essentiel de calmer le jeu et respecter les sanctions des urnes. Ce qui gêne les Tunisiens ce n'est pas que l'on veuille gouv mais que l'on déforme l'objet des élections NOUS N'AVONS PAS VOTE POUR UN GOUV
Ce que l'on ne comprend pas pourquoi vouloir gouv tout de suite avant de préparer une constitution ou même une mini constitution pour organiser les pouvoirs publics AVANT de prendre le pouvoir et pas après.Il n'y a que dans la libye de kadafi qu'on gouvernait sans constitution et sans durée. .Les tunisiens ressentent cela comme de la conspiration Pourtant c'est une affaire de qq mois et mm qq semaines à attendre .
QUI CHERCHE LES PROBLEMES???.
 
 
+4 #5 RE: Tunisie : Ettakattol doit-il participer au prochain gouvernement ?
Ecrit par Abou Jlail     20-11-2011 15:16
Je suis de l'avis de M. Moncef Charfi quand aux motivations de notre vote pour Ettakatol, et je suis déçu de la décision de la participation de ce parti au gouvernement. J'insiste aussi que cette élection concerne l'établissement de la constitution et non sur un projet gouvernemental.
Par ailleurs il n'est pas question d'isoler un parti ou un autre mais d'accepter le résultat des urnes. Quand on est classé 4ième et ne disposant que de 9,5% des sièges, on fait sa mea-culpa et on reste dans l'opposition ne participant que dans la mise en place du nouveau destour. On privilégie l’écoute des tunisiens en se déplaçant dans le centre et le sud du pays ou les résultats n’ont pas été à la hauteur, et on préparer les prochaines élections. J’ai peur que la course aux postes et aux portefeuilles a pris la priorité dans la vision non éclairé des responsables de ce parti. Le prix sera cher à mon humble avis, car lors des prochaines élections ce parti sera absent de la course et c’est bien dommage…
A bon entendeur
 
 
#4 Inconscients !
Ecrit par coco     19-11-2011 19:22
Ennahdha réussi parce que elle devant elle des leaders de partis imbus de leur personne, qui ont une envie mortelle d'accéder à des responsabilités prestigieuses, quitte à se trouver discrédités dans un an ou deux.

Ces leaders savent-ils que tout ce qu'il font est dans l'intérêt direct d'Ennahdha ?! sont-ils au courant de l'état dans lequel est l'économie et l'administration aujourd'hui ?! Savent-ils que la situation ne fera qu'empirer pendant des mois et des mois, à savoir pendant des années ?! Savent-ils que leur argument au sujet de la responsabilité historique qu'ils ont de sauver le pays résulte d'une fausse estimation de ce qu'ils peuvent faire ?! Savent-ils qu'ils qu'au delà de tout celà ils participeront bêtement aider à Ennahdha en supportant avec elles les responsabilités de la gestion de la nouvelle période transitoire. Alors ils prépareront le tapis aux BCE, ELHamdi et autres guetteurs, qui n'attendent que la fin de cette période pour accéder au povoir, le vrai pouvoir.
 
 
#3 Gouverner sans constitution KADAFI le faisait aussi
Ecrit par khammous     19-11-2011 14:25
Qu'on arrête de dire que la Constituante a les pouvoirs absolus.Les éminents prof de droit constitutionnel avec mes respects devraient tenir compte du paradoxe constitutionnel de la constituante de 2011. Une constituante a les pouvoirs absolus lorsqu'il n'y a pas d'ETAT avec une constitution valide Ce n'est point le cas de la TUNISIE Donc le président ne peut être élu que selon une constitution en cours de validité c'est à dire pour le moment celle de 59.
De même le premier ministre est désigné par le président .
Si ce beau monde est pressé pour prendre le pouvoir ils n'ont que A COMMENCER PAR LE COMMENCEMENT c'est à dire à faire vite pour nous °sortir° UNE CONSTITUITON, la presenter en référendum puis proposer par la suite des élections présidentielles .
On ne peut pas honnêtement chercher à commander sans constitution. Le seul régime qui commandait sans constitution était celui de KADDAFI. Ceux qui se targuent de connaître le petit peuple mieux que les autres sachent ce qu'il en pense de cette course honteuse aux fauteuils. Voilà ce que pense le petit peuple / °° YIKHI HOUMA 3AMLOU DOUSTOUR HATTA IHIBBOU YOHKMOU °°
Allez y répondez à cette question.
 
 
-1 #2 Merci
Ecrit par RosejazBT     19-11-2011 10:56
Je veux dire une grand merci à "Citoyen" pour son commentaire très véridique et sincère. Vous avez raison, ils veulent coûte que coûte isoler Ennahda, mais mon dieu pourquoi??? Au lieu de calmer le jeu et faire démarrer le pays par ces trois partis, vous publier un article pour dire: Ettakatol doit-il participer au prochain gouvernement? Si vous n'avez pas un article positif à nous proposer, de grâce taisez-vous.
 
Ces commentaires n'engagent que leurs auteurs, la rédaction n'en est, en aucun cas, responsable du contenu.