Lettre à un jeune révolutionnaire

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Publié le Dimanche 06 Mars 2011 à 21:08
1- De l’esprit révolutionnaire
Les mots éclairent les révolutions, mais peuvent aussi les obscurcir… et mes mots, pour toi, jeune révolutionnaire, ne sont ni leçons, ni tutelle ; ce sont des mots que j’ai fait naître de mes aspirations et de mes petites révolutions, souvent avortées… Prends-les pour une bougie que tu tiendras dans ta main. Si elle éclaire ton chemin, tant mieux pour le chemin, et si la lumière qui jaillit de ton corps est plus forte, jette-la et continue ton chemin.

Vous êtes passés très rapidement du silence à la « liberté », et la contestation fut courte. Vous devriez donc vous construire dans l’après-révolution. Ce qui voudrait dire que l’'après révolution est la révolution même, ce qui rendrait la tâche encore plus délicate et plus glissante.

Tu vivras la destruction et la construction, ce qui rend la mission encore plus poétique, et les sémantiques se feront un plaisir de comprendre, enfin, le vrai sens du mot déconstruction.

Chaque révolution invente ses mots… Tunisien peut être l’'équivalent de bohème après la révolution française.
C’est un tunisien …! Tounsi !
C’est-à-dire pas seulement un enfant qui tient un brin de jasmin, mais plutôt une manière différente de penser et de vivre.

Être tunisien, c’est croire que les trous noirs ne sont pas tout à fait sombres, mais qu’ils sont habités par de petites particules de lumière qui sont comprimées par des centaines d’atmosphères de pression et leur détente éclairera tout l’univers.

Être révolutionnaire c’est accepter de croire à chaque fois que quelqu’un se présente devant toi qu’il a un recoin dans son esprit qui n’est pas encore exploré, et qui peut surprendre le monde entier… Être révolutionnaire se limite à lui tendre une bougie sans attendre un résultat quelconque… Être révolutionnaire c’est tout d’abord être impatient d’être surpris… le contraire serait la dictature de la révolution.

Les jeunes ne perdront pas beaucoup de temps pour soulever le couvercle des vieux, ceux-ci n’existaient pas vraiment et le chemin est dégagé…
Allez les jeunes ! « Entrez dans la lumière إلي النور فالنور عذب جميل » et écrivez votre histoire. Envahissez-moi par vos poèmes, par vos peintures, par vos essais, par vos ennuis, par vos blagues…

Cette révolution n’est pas née d’un siècle de lumière, ou d’une révolution industrielle.
Et elle ne pourra survivre seulement avec le ton que tu veux lui donner, si ce retard n’est pas rattrapé… Vos héros sont encore à inventer et à habiller, et parfois à gifler.

Les révolutions sont souvent écrites par les philosophes et les intellectuels, ceux de ta révolution naitront avec elle, et il serait préférable qu’ils soient cosmopolites car beaucoup de peuples rêvent d’une telle révolution, et d’autres aimeraient épousseter les leurs.
Ne crois-tu pas que la révolution française gémit sous la poussière de l’histoire, des traditions, des préjugés, des contradictions et des trahisons.

Inventez votre quartier latin et vos ateliers de réflexion, et si cette révolution est vraie, ils ne seront surement pas à Tunis ou à la Marsa, mais plutôt à Sidi Bouzid, à Kasserine ou à Gafsa.

Inventez la cité non-interdite, et Chaanbi deviendra Olympe ou Montmartre.
Inventez une spiritualité tunisienne
Inventez des kasbahs dans lesquels se rencontreront les soufis et les bohèmes, les tounsis quoi ! Rêvant d’idoles différentes, et sentant des odeurs distinctes.

Être révolutionnaire c’est n’aspirer ni au paradis ni à l’enfer.

Être révolutionnaire ce n’est pas non plus aspirer au pouvoir. Car le pouvoir est souvent convoité par les produits de la révolution.

Être révolutionnaire, c’est quelque part être un soufi tuant son maître chaque matin.
Danse, danse, danse…
Danse la nouba, danse la salsa, danse le tango, danse avec le ventre, danse avec les épaules, danse avec les pieds. Danse le rap, danse le clash, danse les mauvaises rimes. Et laisse ton djinn s’envoler…Il a été tellement enfermé.

Être révolutionnaire c’est croire quelque part au Ying et au Yang…C’est à-dire croire à la complémentarité entre le blanc et le noir et bannir les dualités.

Jeune révolutionnaire ! Je ne t’apprendrais rien en te disant que souvent l’intelligence est inversement proportionnelle à l’argent qu’on possède (Leila Trabelsi l’a bien prouvé), mais que l’homme le plus riche du monde (Bill Gates) en est le plus intelligent. C’est que l’intelligence peut conduire à l’argent. Qu’elle soit ton arme première pour réaliser tes défis, et si tu touches un jour le Jackpot, ton intelligence saura atténuer son fardeau.

Rappelle-toi que tu n’as pas toujours besoin d’être un héros. Certains intellectuels reprochent à Galilée d’avoir renoncé à ses théories face à ses adversaires de l’Eglise qui lui promettaient le bûcher. Mais s’il n’avait pas renoncé, il n’aurait jamais terminé ses travaux et l’humanité et la science auraient perdu des siècles. Tu dois apprendre à feinter tes adversaires, et ils seraient nombreux, et ne pas t’engager dans des batailles perdues d’avance. D’autres batailles te permettront de gagner la guerre. Soit patient, et maîtrise ton énergie, car un jour tu devras tout donner, pour être un héros, « juste un jour, quoiqu’il advienne ».

Certains vous haïront au point de vous vomir…
N’aie pas peur du vide qui s’installera autour de toi… demain c’est toi l’ingénieur, le médecin, l’architecte, l’infirmier et l’ouvrier… et c’est toi qui construiras ton milieu et bâtiras tes besoins.

N’écoute pas les vieux qui te « donnent » des leçons de sagesse.
Certains me disent : mais ils ont besoin de nous, de nos compétences, de notre expérience. Je défis quiconque qui dit ne pas porter un secret qu’il n’osera jamais divulguer, de peur d’être discrédité.
Jeune révolutionnaire ! Certains peuples deviennent riches du jour au lendemain en découvrant un puits de pétrole, et ton puits est en toi. Il renferme toute ton histoire, ta lumière et ton intelligence.

Cher jeune révolutionnaire ! Avance dans ton chemin sans te retourner, car en regardant derrière tu me verras… Mais si j’ai encore la force, je t’attendrais là ou tu arriveras.

Mohamed Néjib BOUJNAH


*Allusion au fameux livre « Lettres à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke (1875-1926)

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Lettres à un jeune révolutionnaire (Suite)




 

Commentaires 

 
#2 Lettre à un jeune revolutionnaire
Ecrit par mokh     07-03-2011 18:16
Je disais toujours que nous avons besoin des gens éclairés comme Mr mohamed nejib boujnah qui par leur culture, sagesse et patriotisme peuvent participer à la construction d'une Tunisie moderne qui peut etre parmi les pays developés.

Je trouve que les intellectuels ne prennent pas l'initiative pour etre aux premiers rangs sur la seine politique, culturelle ... et ils laissent aux profiteurs des places qui ne sont pas à eux.

Il est temps que les intellectuels, occupent les places importantes dans la societé pour modernisier le Pays, et tracer le chemin de la democratie.
 
 
#1 RE: Lettre à un jeune révolutionnaire
Ecrit par qqun     06-03-2011 23:25
c'est beau :)
Quelle élégance !
 
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