Tunisie : Pourquoi le discours de Marzouki a-t-il déplu à Ennahdha ?

Publié le Lundi 03 Décembre 2012 à 18:10
Jebali et Marzouki ont du mal à accorder leurs violons. Dans son discours du vendredi 30 novembre, le président de la République, Moncef Marzouki, a fait un aveu d’échec. Il a reconnu explicitement que le gouvernement n’est pas parvenu à répondre aux attentes du peuple, qui sont "profondes et nombreuses". "Nous n’avons pas pu nous hisser au niveau des demandes de la société, si cette situation perdure nous irons à notre perte", a-t-il admis.

La lecture du chef de l’Etat et son analyse de la situation à Siliana, secouée par des troubles violents la semaine dernière ayant fait plusieurs dizaines  de blessés, diffère complètement de celle d’Ennahdha. Le mouvement islamiste qui dirige la coalition tripartite au pouvoir, a imputé la dégénérescence de la situation aux "tenants de l’anarchie". Le chef du gouvernement  et Secrétaire général d’Ennahdha, Hamadi Jebali, a accusé des partis et des fronts qui se dissimulent derrière l’UGTT d’avoir conduit les mouvements de Siliana, et d’y avoir ravivé la tension. Ces derniers cherchent à faire tomber le gouvernement en s’attaquant aux symboles de l’Etat, a-t-il souligné, en fustigeant notamment "la violence au nom de la révolution prolétaire".

Abdelattif Mekki, ministre de la Santé, a abondé ce lundi sur Shems FM dans le même sens. Selon ses dires, la lecture faite des événements de Siliana est "erronée et tronquée". A ses yeux, les troubles que  vient de vivre cette région du centre-ouest de la Tunisie, laissée pour compte pendant des décennies,  ne sont pas fondamentalement liés à une carence de développement, même s’il reconnait que le gouvernorat souffre d’une telle problématique. Le ministre estime qu’il existe actuellement deux stratégies en Tunisie : "une stratégie modérée fondée sur le pragmatisme politique" incarnée par la troïka, et d’autres partis, et une deuxième stratégie "extrémiste", dont le but est de semer le trouble, d’envenimer la situation et qui procède de ce qu’il appelle "l’hostilité idéologique".

Le chef de l’Etat n’a aucunement vu la situation à Siliana sous cet angle. Son analyse rejoint plutôt celle de l’opposition. En imputant les derniers événements à une incapacité du gouvernement à répondre aux demandes des populations, le chef de l’Etat a exprimé sa crainte que le rouleau compresseur de la contestation n’englobe d’autres régions démunies, ce qui risque de menacer l’avenir de la Tunisie.

Aux yeux du président de la République, la voie de salut consiste en la formation d’un gouvernement resserré, où les nominations seront effectuées sur la base de "la compétence", et non selon "l’appartenance et l’allégeance partisanes". Marzouki prend ainsi à son compte une proposition faite par l’opposition, notamment par al-Joumhouri, qui a appelé depuis mai dernier, suite à l’abaissement de la note souveraine de la Tunisie par standard & Poor’s, à un gouvernement de technocrates. Un appel qui a été remis sur le tapis dans la foulée des événements de l’ambassade des Etats-Unis. Depuis, l’opposition n’a eu de cesse de plaider pour un remaniement ministériel profond englobant les ministères de souveraineté. Les adversaires de la troïka demandent que ces ministères soient confiés à des personnalités indépendantes, notamment le portefeuille de l’Intérieur afin d’en garantir la neutralité en prévision des prochaines élections que l’on veut libres et transparentes.

A priori, la parole présidentielle s’aligne clairement sur les revendications de l’opposition. En témoignent les échos favorables qu’elle a trouvés chez les adversaires de la troïka, notamment chez des dirigeants d’al-Joumhouri, de Nida Tounes, du front populaire ou encore de l’UGTT. Ettakatol, membre de la troïka, a-t-il aussi marqué son approbation envers le diagnostic de la situation fait par le président, et des solutions qu’il a proposées, par la voix de son porte-parole officiel, Mohamed Bennour.

Avec son discours, le locataire de Carthage a divisé, intentionnellement ou non, la scène politique en deux camps, voire en deux familles : la famille dite "laïque, progressiste" et la famille conservatrice, islamiste. Qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, les laïcs apparaissent comme des alliés objectifs, pour contrecarrer, sinon contrebalancer le projet d’Ennahdha. Cela laisse poser des questions sur l’avenir de cette alliance entre laïcs et islamistes, que la Tunisie veut en faire un exemple pour le reste du monde arabe, ou de ce qu’on appelle "les pays du printemps arabe "

Même si les conseillers du président essaient ces derniers jours d’arrondir les angles, et d’expliquer les vraies significations du discours présidentiel, qui n’a rien à voir, selon leurs dires, avec la ligne défendue par l’opposition, les ministres d’Ennadha semblent voir d’un mauvais œil la sortie impromptue du président. Ils auraient souhaité que la teneur du discours présidentiel soit posée dans le cadre des instances de coordination de la troïka. Mais ce n’était pas le cas, c’est ce qui suscite leur mécontentement au regard de leurs premières réactions, qui vont jusqu’à laisser présager une possible destitution du chef de l'Etat.

Une telle évolution de la situation semble peu probable. La révocation du président ne sera pas dans l’intérêt du pays, ni de sa stabilité et encore moins de l’esprit du consensus et de concorde tant souhaité. Les positions officielles vont se clarifier dans les prochains jours. Vivement que ce débat soit tranché, que le remaniement soit effectué, et qu’une feuille de route claire soit déterminée quant aux prochaines échéances électorales qui relèvent encore du domaine de l’inconnu.

S'il est vrai que tout le monde est d’accord sur la nécessité d’un remaniement, il n'en demeure pas moins qu'un désaccord persiste quant à son ampleur et sa nature. Certains vont jusqu’à revendiquer la démission du gouvernement, à l’instar de Béji Caïd Essebsi. L’ancien Premier ministre suggère que le gouvernement présente sa démission, que le président de la république charge le Premier ministre, l’actuel ou un autre, de former un nouveau gouvernement resserré, et que les ministères de souveraineté soient confiés à des personnalités indépendantes. "Pour qu’il soit crédible, le prochain gouvernement doit s’engager à ne pas se présenter aux prochaines élections", a-t-il exhorté. Le président de Nida Tounes pose des conditions, mais il ne semble pas en situation d’avoir barre sur ceux qui gouvernent aujourd’hui.
H.J.


 

Commentaires 

 
+3 #3 Comme la prostitution
Ecrit par Khammous     03-12-2012 23:38
SEULE LA LIBERTE D’EXPRESSION constitue un rempart contre la corruption et le despotisme.
.La corruption,comme la prostitution, est le métier le plus vieux au monde.Elle ne peut être le fait d’une situation isolée dans l’Histoire des hommes ni dans une époque précise. . Elle menace en permanence et sans cesse les citoyens et la société. La concentration des efforts des citoyens et de la société civile sur ce qui s’est produit hier ne doit pas les détourner de ce qui se passe aujourd’hui et demain.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets et comme dans tous les cas on procède de la même méthode et on utilise les mêmes mécanismes, il faudra s’attaquer aux mécanismes de corruption eux-mêmes et ne pas se contenter de poursuivre les personnes incriminées. Car ces personnes peuvent être aisément remplacées par d’autres selon les rapports de force politiques : les cousins, les frères, les gendres, les épouses ne sont plus les mêmes mais la filiation demeure entre les détenteurs du pouvoir leurs ministres et leurs divers collaborateurs.
 
 
+3 #2 Des amateurs de la politique
Ecrit par Khammous     03-12-2012 23:29
Quand en 1984 la révolte du pain avait dépassé les 72 heures avec son lot de malheurs,Bourguiba sortait à la rencontre de milliers de personnes en colère et leur a parlé dans la rue devant la porte du palais pour leur annoncer qu'il revenait au prix initial avant les augmentations. Il rentre par la suite et décide de dégommer 10 ministres...JBALI déclare que si le gouverneur part il partira... Résultat / le gouverneur est parti et JBALI est resté
 
 
+6 #1 Démocrates ou non
Ecrit par salah     03-12-2012 18:45
Je ne pense pas que la ligne de démarcation soit entre islamistes et laïcs. La nouvelle ligne de démarcation sépare les démocrates des non démocrates.
Je ne connais pas beaucoup de régimes islamistes avec une alternance régulière. La démocratie est l'alternances. S'il n'y a pas d'alternance, c'est la corruption qui prend le dessus. Avec la meilleure intention du monde, le pouvoir attire les opportunistes et l'avantage de l'alternance est de casser les petits réseaux qui se tissent avec le temps.
 
Ces commentaires n'engagent que leurs auteurs, la rédaction n'en est, en aucun cas, responsable du contenu.