Quand Nestlé espionnait les altermondialistes

Publié le Samedi 26 Juillet 2008 à 11:09
courrierinternational.com- En 2003, le mouvement altermondialiste, qui préparait un livre sur le géant de l'agroalimentaire, a été infiltré par une taupe. Aujourd'hui jugée, l'entreprise persiste et signe : si elle se sentait menacée, elle n'hésiterait pas à surveiller de nouveau une ONG.

"Olivier env. 1,80 m, cheveux et barbe très touffus, frisés, attachés. Déjà vu à Coord. Attac-VD. S'investit bcp. Enseigne à 50 % aux requérants d'asile et indépendant à 50 % (musique). Env. 40 ans." La dénommée Sara Meylan était minutieuse. Une douzaine de profils de ce type sont décrits sur un plan qui représente une table et des chaises. Chaque personne est à sa place. Parfois, la description est plus détaillée encore : "Teint mat, cheveux bruns ondulés, mi-longs, visage assez rond, yeux bruns."

Mercredi [23 juillet], pour la première fois depuis l'éclatement du "Nestlégate", les parties se sont retrouvées face à face au palais de justice, à Lausanne, pour une première audience consacrée à des mesures provisionnelles demandées par le mouvement altermondialiste ATTAC. Me Fischer, avocat de Nestlé, a remis au Tribunal une liasse de documents censés être l'intégralité des rapports rédigés par Sara Meylan pour le compte du groupe veveysan. C'est l'émission Temps présent de la Télévision suisse-romande qui a récemment révélé qu'une employée de Securitas avait infiltré en 2003, pour le compte de Nestlé, un groupe d'ATTAC-Vaud qui rédigeait un livre sur la multinationale suisse [ATTAC contre l'empire Nestlé, 2004].

Nestlé, par la voix de son directeur juridique, Hans Peter Frick, a confirmé à la sortie de l'audience que Sara Meylan travaillait bien pour le géant veveysan et ajouté qu'il n'excluait pas d'avoir un jour à nouveau recours à Securitas pour obtenir des informations sur une ONG, si une menace l'exigeait. Mais non par infiltration, a précisé un porte-parole de Nestlé, car ce genre de pratiques "ne fait pas partie des habitudes du groupe".

Pour Nestlé et Securitas, il n'y a pas matière à s'offusquer de l'infiltration réalisée par Sara Meylan. Les avocats des deux entreprises ont rappelé le contexte de l'année 2003. "Nous sommes à l'apogée des mouvements altermondialistes qui croient encore à un avenir", a souligné Me Robert-Nicoud, avocat de Securitas. Et d'évoquer le climat "extrêmement désagréable", les échauffourées provoquées par le G8 à Genève et à Lausanne, même si ATTAC n'en est pas directement responsable. "En 2003, ATTAC a encore une forte capacité de mobilisation", a dit Me Robert-Nicoud. "Attac a mené une campagne, un combat, et passe son temps à attaquer Nestlé. Nous étions suivis à la trace, c'est une forme d'obsession", a déclaré Me Fischer, qui estime qu'il y avait un "but légitime" à récolter des données provenant de l'intérieur du mouvement.

De fait, c'est bien Securitas qui va proposer à Nestlé les renseignements fournis par leur employée infiltrée. De septembre 2003 à juin 2004, celle qui emprunte le nom de Sara Meylan et qui s'est inscrite normalement comme membre du groupe vaudois d'ATTAC va suivre réunions et séances de travail et rédiger des rapports qu'elle transmettra via son supérieur hiérarchique à Nestlé. Pour les avocats de Nestlé et de Securitas, à aucun moment Sara Meylan n'a enfreint la loi sur la protection des données. "Les atteintes à la personnalité sont modestes", a poursuivi Me Fischer, qui estime que les descriptions physiques présentes dans les rapports ont une utilité s'il y a ensuite "des pépins".

Pour l'avocat du mouvement altermondialiste, les documents produits par Sara Meylan sont de nature à mettre en danger les membres d'ATTAC qui travaillent dans des pays comme le Brésil ou la Colombie. "Ce ne sont pas que des rapports mais de véritables fiches qui ont été réalisées. Si Nestlé avait accepté sous un faux nom quelqu'un à son conseil d'administration, elle se serait aussi sentie attaquée", a clamé Me Dolivo.

Dans le cadre de cette procédure civile, ATTAC réclame 27 000 francs suisses [16 600 euros] de dommages et intérêts pour neuf personnes lésées. De son côté, le juge d'instruction cantonal, Jacques Antenen, a ouvert une procédure pénale sur le même dossier.