L'univers de la mode endeuillé, après la disparition de Karl Lagerfeld

Publié le Mercredi 20 Février 2019 à 09:01
AFP - L'univers de la mode est endeuillé après la mort à 85 ans du dernier de ses géants, le flamboyant créateur aux lunettes noires Karl Lagerfeld, qui avait relancé la maison Chanel.

Le directeur artistique depuis 36 ans de la célèbre maison Chanel s'est éteint à l'hôpital Américain de Neuilly où il avait été admis en urgences lundi soir.

Cheveux blancs tenus par un catogan, lunettes noires, hauts cols de chemise amidonnés, doigts couverts de bagues et débit de mitraillette : le couturier allemand à l'allure de marquis rock'n roll était reconnaissable entre tous.
"C'est une toute autre époque de la mode et de la haute couture qui disparaît. Karl était extrêmement créatif et prolixe. Il n'a jamais voulu s'endormir sur ses lauriers", a réagi auprès de l'AFP Inès de La Fressange qui fut la première et la plus emblématique de ses égéries.

Pour l'influente rédactrice en chef de Vogue Anna Wintour, "le monde perd un géant" qui "était beaucoup plus que notre plus grand styliste et le plus prolifique".

Devant le 31 bis rue Cambon à Paris où "Mademoiselle Chanel" avait ouvert sa boutique dans les années 1920, les admirateurs, roses blanches à la main, sont venus rendre hommage à son mythique héritier. "C'était une légende, un mastodonte, il a sauvé Chanel, il a réinventé la marque", s'est enflammé Mathieu Cipriani-Rivière, ex-étudiant en stylisme.

Sous l'ère Lagerfeld, Chanel est devenue la deuxième marque de luxe au monde, faisant la fortune des propriétaires Alain et Gérard Wertheimer, estimée à plus de 18,4 milliards d’euros par l’agence Bloomberg. Son exercice 2017 s'était clos sur un chiffre d'affaire de 8 milliards d'euros.

Alain Wertheimer a salué le "génie artistique", la "générosité" et l'"intuition exceptionnelle" du "Kaiser", à qui il avait "donné carte blanche au début des années 80 pour réinventer la marque".

C'est Virginie Viard, directrice du studio de création mode de Chanel et la plus proche collaboratrice de Lagerfeld depuis plus de 30 ans, qu'il appelait son "bras droit et bras gauche à la fois", qui lui succède à la création des collections.

"La France doit tant à cet esthète qui a marqué de son génie créatif l’imaginaire de notre pays et l’a fait rayonner dans le monde entier", a salué l'Elysée dans un communiqué.

"La mode et la culture perdent un grand inspirateur. Il a contribué à faire de Paris la capitale mondiale de la mode et de Fendi l'une des maisons italiennes les plus innovantes", a rendu hommage Bernard Arnault, PDG du géant du luxe LVMH, dans une déclaration transmise à l'AFP.

En coulisses comme sur les podiums, l'émotion était également vive. "La nouvelle m'a brisé le coeur, c'était une telle icône", a déclaré à l'AFP la jeune créatrice Kitty Shukman, 24 ans, en marge de la Fashion Week de Londres.

Chez Fendi, qui présentera jeudi à Milan sa nouvelle collection, la dernière signée par Lagerfeld, on saluait le "génie créateur" de celui qui a rejoint l'atelier créatif de la marque romaine en 1965.
Lagerfeld avait vu sa santé décliner ces dernières semaines, au point de ne pas se présenter pour saluer le public le 22 janvier, après le défilé de la collection Printemps-Été 2019. Une première depuis ses débuts chez Chanel en 1983.

Outre Chanel et Fendi, il était également à la tête de sa propre griffe Lagerfeld, mais son nom reste étroitement associé à la maison de la rue Cambon, dont il n'a cessé de bousculer les codes en réinventant les classiques tailleurs de tweed et les sacs matelassés.

Gabrielle Chanel "aurait détesté", affirmait le couturier connu pour ses "karlisms", ces formules provocatrices mêlant le narcissisme et l'autodérision.

Homme de son temps, il signait des défilés aux mises en scène grandiloquentes, reconstituant tantôt une plage plus vraie que nature, tantôt les quais de Seine avec les boîtes de bouquinistes.

Né à Hambourg, Karl Lagerfeld aimait entretenir le mystère sur sa date de naissance. Pour plusieurs titres de la presse allemande, s'appuyant sur des documents officiels, il avait vu le jour le 10 septembre 1933. Il affirmait quant à lui être né en 1935, indiquant que sa "mère avait changé la date".
Après une enfance aisée dans la campagne de l'Allemagne nazie, il déménage avec sa mère à Paris dans les années 50. Sa carrière est lancée lorsqu'il décroche le premier prix du concours du "Secrétariat international de la laine", ex æquo avec Yves Saint-Laurent en 1954.

Au début des années 60, il travaille en styliste indépendant, collaborant avec plusieurs maisons à la fois.

Il savait mieux que personne capter l'air du temps. Comme en 2004 quand il avait dessiné une collection pour le géant suédois du prêt-à-porter H&M, une démarche ensuite imitée.
Boulimique de travail, enchaînant les collections, Karl Lagerfeld avait aussi la passion de la photographie et signait les campagnes Chanel.

Il avait aussi le flair pour faire émerger des mannequins stars: la Française Inès de La Fressange mais aussi l'Allemande Claudia Schiffer, la Britannique Cara Delevingne ou encore Lily-Rose Depp, fille d'une autre de ses muses Vanessa Paradis.

Il les voulait toujours minces. "Personne n'a envie de voir des femmes rondes sur les podiums (...) Ce sont les grosses bonnes femmes assises avec leur paquet de chips devant la télévision qui disent que les mannequins minces sont hideux", lançait-il au magazine allemand Focus en 2009. Ces propos avaient suscité une plainte d'une association de défense des personnes rondes.

Sur sa propre mort, il avait aussi une idée bien arrêtée. Questionné par le magazine Numéro s'il voulait des obsèques à la Madeleine comme Johnny Hallyday: "Quelle horreur ! il n'y aura pas d'enterrement. Plutôt mourir".

"Je veux juste disparaître comme les animaux de la forêt vierge", avait-il aussi dit.