L'agriculture familiale : Nourrir le monde (J. Graziano da Silva, DG du FAO)

Publié le Mardi 14 Octobre 2014 à 11:50
José Graziano da SilvaA l'occasion de la Journée Mondiale de l'Alimentation célébrée le 16 octobre de chaque année,  le Directeur Général de la FAO, José Graziano da Silva, appelle dans un éditorial à renforcer l’agriculture familiale garante de sécurité alimentaire. Le Bureau sous-régional de la FAO pour l’Afrique du Nord, basé à Tunis a fait parvenir à Gnet le texte de cet édito que l’on publie dans son intégralité…

Par José Graziano da Silva

La lutte contre la faim progresse dans le monde entier mais, au vu des quelque 805 millions de personnes qui n'ont toujours pas suffisamment à manger, on se dit qu’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.

Soixante-trois pays en développement ont déjà atteint l'Objectif du Millénaire pour le développement – réduire de moitié, d'ici à 2015, la proportion de personnes souffrant de sous-alimentation chronique. Le parcours de ces pays nous enseigne que, si l’on veut gagner la guerre contre la faim, un engagement politique, une approche globale, la participation de l'ensemble de la société et l'agriculture familiale sont des éléments indispensables.
Partout dans le monde, les exploitations familiales jouent un rôle essentiel sur les plans socioéconomique, environnemental et culturel. Malgré les graves problèmes rencontrés, ce rôle doit être tenu en haute estime et renforcé au moyen de l'innovation.

Consciente de cet enjeu, l'Organisation des Nations Unies a proclamé 2014 «Année internationale de l'agriculture familiale». Cette année, la Journée mondiale de l'alimentation rend hommage, entre autres, à la contribution qu’apportent les agriculteurs familiaux à la sécurité alimentaire et au développement durable : ils nourrissent le monde et prennent soin de la terre.
À la lecture du rapport annuel de la FAO sur la Situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture (SOFA), l’importance accordée à l'agriculture familiale paraît tout à fait justifiée.
Environ 500 millions des 570 millions d'exploitations agricoles dans le monde sont dirigées par des familles. Ces agriculteurs familiaux sont les principaux gardiens de nos ressources naturelles. En tant que secteur, l'agriculture familiale est le premier employeur de la planète ; elle fournit plus de 80 pour cent de la nourriture mondiale en valeur, est souvent le principal producteur d'aliments frais et gagne du terrain dans la production de produits laitiers, de volailles et de porcs.

Dans la région du Proche-Orient et d’Afrique du Nord,  l’agriculture familiale  fournit des moyens de subsistance aux familles vivant dans les zones rurales, où la grande majorité des pauvres sont concentrés. Les données statistiques  montrent que l'agriculture dans la région emploie un tiers de la population totale.

La population active se répartie à plus de 60 % au Maroc, et plus de 35 % au Soudan et en Mauritanie. Presque tous ces emplois sont générés par les exploitations familiales qui représentent une source de revenu importante pour les ménages pour de nombreux pays de la région. A titre d’exemples, et pour illustration, les exploitants de l’agriculture familiale représentent 15 % de la population totale en Egypte et au Yémen, environ 10 % au Maroc et en l'Algérie, et 4-5% au Liban et en Tunisie.

Toutefois, en raison de la croissance démographique et de la fragmentation progressive des terres, la taille des exploitations familiales est en baisse constante dans la région. Par  conséquence, près de 84 % des exploitants agricoles de la région travaillent dans  des exploitations familiales, or, ceux-ci ne contrôlent que 25 % des superficies cultivées. Cette situation est provoquée par le fait que les agriculteurs de l’exploitation familiale n'ont toujours pas un accès adéquat à la terre, au crédit et à la technologie. Ils ne sont pas encore organisés en organisations fortes capables de leur fournir tous les services dont ils ont besoin pour apporter une contribution substantielle à la sécurité alimentaire de leur pays.

Cependant, ces données ne sont pas spécifiques a’ la région du Proche-Orient et de la Afrique du Nord et se apparentent aux données a l’échelle mondiale. De nombreux agriculteurs familiaux, en particulier ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance, font partie des 70 pour cent de la population mondiale en situation d'insécurité alimentaire vivant en zone rurale. Cela signifie qu’il y a une marge de progrès considérables, pourvu qu’ils bénéficient d'un soutien adéquat. Le rapport sur la Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture met en évidence les difficultés auxquelles est confronté le secteur et propose des mesures concertées pouvant être mises en œuvre pour les surmonter.

La production, la commercialisation et la consommation de produits alimentaires ont connu de profonds changements ces dernières décennies.

Au cours de cette période, la productivité agricole a augmenté de façon spectaculaire, grâce notamment aux progrès scientifiques et technologiques. La population mondiale, qui ne cesse de croître et qui est de plus en plus urbanisée, dépend d’une nourriture produite par un pourcentage d'agriculteurs bien plus faible qu'il ne l'était au sortir de la deuxième guerre mondiale. Le marché des produits agricoles et alimentaires s'est mondialisé. L’alimentation de la grande majorité des gens à travers le monde repose sur quatre produits de base seulement.
Il faut adapter l’agriculture familiale – et le soutien qu’elle reçoit – de manière qu’elle puisse faire face à cette évolution. L'innovation est essentielle si l'on veut y parvenir : les exploitations familiales doivent faire preuve d'innovation concernant les systèmes qu'elles utilisent ; les pouvoirs publics doivent faire preuve d'innovation s'agissant des politiques qu'ils mettent en œuvre pour soutenir l'agriculture familiale ; les organisations de producteurs doivent faire preuve d'innovation pour mieux répondre aux besoins des exploitations familiales; et les instituts de recherche et de vulgarisation doivent faire preuve d'innovation en passant d'un processus axé sur la recherche qui s'appuie principalement sur le transfert de technologie à une approche qui rend possibles et récompense les innovations des agriculteurs familiaux eux-mêmes.

En outre, l'innovation, sous toutes ses formes, doit être un levier d’insertion; favoriser la participation des agriculteurs familiaux à la production, à l'échange et à l'utilisation des connaissances afin qu'ils aient la maîtrise du processus; tenir compte à la fois des avantages à saisir et des risques encourus; et être tout à fait adaptée aux contextes locaux.

De toute évidence, les agriculteurs familiaux doivent produire suffisamment de nourriture non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour les autres ruraux qui  n’ont pas d’activité agricole et pour les citadins. Ils doivent également en tirer un revenu, qui leur permettra d’acheter des intrants, tels que des semences et des engrais, mais aussi de mener une vie décente, et notamment de financer l'éducation de leurs enfants et d'autres besoins.

Le renforcement de l’agriculture familiale profite à tous : des disponibilités alimentaires plus importantes se traduisent localement par une plus grande sécurité alimentaire et par la possibilité de produire de la nourriture pour les marchés locaux ou d'acheter de la nourriture sur ces marchés. Par voie de conséquence, cela signifie des repas composés d’aliments plus frais et plus sains, qui respectent la culture locale et mettent à l'honneur les produits locaux, et qui contribuent à améliorer la nutrition mais également à injecter davantage d'argent dans les économies locales, favorisant ainsi leur développement. La liste des avantages potentiels qu'offre l'agriculture familiale ne s'arrête pas là ; on pourrait aussi évoquer, par exemple, les liens pouvant être établis entre la production locale et les repas scolaires ou la promotion d'entreprises capables de soutenir une production en expansion.

Ces efforts favorisent un développement durable des territoires ruraux, objectif auquel tout le monde – agriculteurs, communautés et gouvernements – devrait contribuer. Lorsque l'on associe soutien à la production et protection sociale ainsi que divers types d'aides publiques, tels qu'un meilleur accès aux soins de santé et à l'éducation, on peut faire entrer le développement durable dans un cercle véritablement vertueux.

Il convient d’accorder une attention particulière aux femmes et aux jeunes dans le cadre des efforts concertés visant à promouvoir une croissance économique écologiquement viable et propice à l'intégration sociale. Les femmes jouent un rôle essentiel – qui n'est pourtant pas toujours apprécié à sa juste valeur – à tous les stades du système alimentaire : elles participent à la production et à la commercialisation des denrées et veillent aussi à nourrir convenablement leur famille. Dans le même temps, il faut enrayer l'exode des jeunes ruraux, souvent obligés d'aller voir ailleurs lorsqu'ils souhaitent améliorer leurs conditions de vie. Nous devons créer les conditions qui permettront aux jeunes d'envisager une vie en milieu rural riche d'avenir, grâce notamment à des programmes de formation qui pourraient contribuer à développer leur esprit d'entreprise.

Alors que l'échéance fixée pour la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement se rapproche à grands pas, nous devons œuvrer ensemble en vue de créer l'avenir auquel nous aspirons: un avenir viable, dans lequel la faim n’aura pas sa place. Les agriculteurs familiaux sont des acteurs de cette mobilisation.