Deux journalistes mis en examen pour chantage au Roi Mohamed VI

Publié le Lundi 31 Août 2015 à 09:48
AFP - Mise en examen samedi avec son confrère Eric Laurent, pour chantage et extorsion de fonds, la journaliste Catherine Graciet affirme «être tombée dans un piège», «c’est le Palais qui propose», «qui corrompt», affirme-t-elle dans une interview au Parisien de lundi.

«Je n’ai jamais voulu faire chanter qui que ce soit. Je suis tombée dans un piège», se défend la journaliste d’investigation soupçonnée d’avoir voulu faire chanter le roi du Maroc.

Auteure de deux livres interdits au Maroc, la journaliste jure avoir «mené un travail sans concession qui a créé un passif très lourd avec la monarchie.»

Mme Graciet justifie l’appel d’Eric Laurent au palais royal fin juillet: «On les met en cause sur 300 pages, il fallait leur donner la parole». Elle assure qu’à son retour de vacances son co-auteur lui dit avoir rencontré Hicham Naciri (avocat du roi, ndlr) qui lui a «proposé 3 M€ contre la non-parution du livre» et doit le revoir le 21 août.

Selon elle, au second rendez-vous l’avocat aurait maintenu sa proposition et demandé qu’elle assiste à un troisième rendez-vous à l’issue duquel les deux journalistes allaient être interpellés.
«J’y vais pour voir parce que je n’arrive pas à y croire», assure-t-elle. Je pense même qu’une tentative de corruption, cela ferait un beau chapitre d’ouverture… En même temps je me méfie», ajoute-t-elle.

Cette rencontre avec l’avocat «dure des heures». «Il repart, revient, nous pousse à la négociation. Moi, je me sens perdue», raconte-t-elle.

L’avocat leur remet une avance de 40.000 euros chacun après avoir transigé à deux millions d’euros pour la non-parution du livre. «J’ai eu un accès de faiblesse… C’est humain, non ?», s’interroge-t-elle.

Elle signe le protocole renonçant à écrire sur la monarchie et dit avoir pensé : «j’ai la preuve que c’est un corrupteur, puisqu’il l’a signé lui aussi.»

Interpellée avec Eric Laurent dans le hall de l’hôtel elle dit avoir «compris la manipulation, la police en embuscade, les écoutes, le traquenard. On ne m’a même pas laissé la chance de regretter, de voir ce que j’allais faire après. Mais je me suis fait la promesse que notre livre sortira.»

Deux journalistes français soupçonnés d'avoir tenté de faire chanter le royaume du Maroc avec des informations supposées gênantes ont été mis en examen ce samedi pour "chantage" et "extorsion de fonds" et ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Leur contrôle judiciaire leur impose notamment de ne pas entrer en contact entre eux ni avec d'autres protagonistes du dossier. Dans ce scénario rocambolesque, les deux journalistes, Éric Laurent et Catherine Graciet, ont été arrêtés jeudi à Paris à la sortie d'un rendez-vous avec un représentant du Maroc au cours duquel "il y a eu remise et acceptation d'une somme d'argent", a indiqué une source proche du dossier. L'avocat de Catherine Graciet, Me Eric Moutet, a confirmé vendredi soir l'existence d'un "deal financier" dans un "contexte très troublant". "Le royaume marocain a des comptes évidents à solder avec Catherine Graciet et un nouveau livre sur l'entourage du roi est en préparation au moment où le deal financier se met en place", a-t-il déclaré à l'AFP.

Le parquet de Paris a ouvert mercredi une information judiciaire pour tentative d'extorsion de fonds et tentative de chantage. Selon le récit de l'avocat du Maroc, Me Éric Dupond-Moretti, l'affaire commence le 23 juillet, quand Éric Laurent contacte le cabinet royal et sollicite une rencontre en disant qu'il prépare un livre. Le journaliste de 68 ans n'est pas un inconnu au Maroc. Il a publié en 1993 un livre d'entretiens avec l'ancien monarque Hassan II, père de l'actuel roi Mohammed VI. Début 2012, il publie, avec Catherine Graciet cette fois, un livre accusateur contre Mohammed VI, Le Roi prédateur. L'édition du journal espagnol El País avait été interdite sur le territoire marocain le jour où le quotidien avait publié les bonnes feuilles du livre. Après l'appel d'Eric Laurent, un représentant du cabinet du roi, un avocat marocain, a rencontré le journaliste. "Et là, surprise, énorme", raconte Me Dupond-Moretti, "Eric Laurent dit écoutez, je prépare un livre avec Mme Graciet, co-auteur, et, moyennant trois millions d'euros, il n'y a pas de polémique, on retire notre bouquin".

Le Maroc a déposé une plainte à Paris, conduisant le parquet à ouvrir une enquête. Dans ce cadre, des réunions ont été organisées, "des rencontres filmées, enregistrées entre le représentant du roi" et les journalistes, poursuit Me Dupond-Moretti. "C'est précisément l'avocat mandaté par le roi qui piège les journalistes par des enregistrements sauvages", a affirmé de son côté l'avocat de Catherine Graciet, jugeant qu'"il y a dans cette affaire une logique de stratagème". Selon Me Dupond-Moretti, les deux journalistes sont sortis du dernier rendez-vous parisien, jeudi, sous surveillance policière, avec "un acompte substantiel de 40 000 euros chacun". Peu après, ils ont été arrêtés et placés en garde à vue dans les locaux de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP).