Tunisie/UE : La société civile se mobilise pour rectifier certains accords

Publié le Vendredi 29 Mai 2015 à 15:32
La Tunisie continue à maintenir ses liens historiques et essentiels avec l'Union Européenne qui constitue son partenaire le plus proche et ce,  sur les plans politique, sécuritaire, économique et social. En dépit des événements et des perturbations qu'a traversés le pays, en particulier après la révolution, les deux partenaires ont globalement réussi à renforcer leurs relations basées sur des intérêts communs à la lumière de la politique étrangère des deux parties.  

Après la révolution, une volonté claire est apparue du côté européen pour répondre à l'une des revendications clés de la société civile tunisienne, à savoir, la participation de cette dernière dans le suivi des affaires publiques, notamment des  relations entre la Tunisie et l'Union Européenne, surtout suite au rôle primordial qu'elle a joué dans le processus de transition démocratique.

Cette demande a rencontré une réponse graduelle de la part du Gouvernement Tunisien, réponse qui s'est notamment manifestée à travers les liens tissés dans le cadre du projet de mobilisation de la société civile dans le suivi des relations entre la Tunisie et l'Union Européenne lancé par le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme(REMDH) en janvier 2014. Le projet consiste en un dialogue tripartite rassemblant le Gouvernement Tunisien, l'Union Européenne et les composantes de la société civile et vise à faire participer activement la société civile dans le dialogue bilatéral.

Le projet est basé sur quatre thématiques principales traitées dans le cadre des relations entre l'Union Européenne et la Tunisie, à savoir : les droits des femmes et l’égalité hommes-femmes, la réforme du système judiciaire et la garantie de l'indépendance de la Justice, la mobilité et la défense des droits des migrants et des réfugiés, et le respect des droits économiques et sociaux à travers la mise en place d'un modèle de développement économique et social respectant les droits de l'Homme, réduisant le chômage - surtout dans les rangs de diplômés - , encourageant l'égalité des  chances  entre les personnes et luttant contre les disparités régionales.

Dans ce cadre, Rami Salhi, directeur du bureau Maghreb du REMDH, a déclaré que : « Ce projet vise à faire participer la société civile tunisienne dans le suivi des affaires politiques y compris les relations internationales qui lient la Tunisie à ses partenaires et surtout à l'Union Européenne et ses États membres. » soulignant que « le premier défi de ce projet consiste à créer une collaboration et une interaction entre la société civile et le Gouvernement, basée sur des propositions précises et réalistes qui prennent en compte l'ensemble des défis qu'affronte la Tunisie, avec la nécessité de respecter parfaitement les droits de l'Homme, les libertés, la souveraineté nationale et le droit des générations futures aux richesses du pays. »

Rami Salhi a ajouté que « ce projet a été initié afin de surmonter les défis relatifs à certains accords signés entre la Tunisie et l'Union Européenne et qui ne répondent pas aux principes fondamentaux des droits de l'Homme, tels que l'accord de partenariat de mobilité dont l'annonce politique a été signée en mars 2014 en l'absence des organisations de la société civile et qui comprend plusieurs violations des droits de l'Homme et surtout des droits des migrants et des réfugiés ». « Il s'agit en outre d'un accord ne garantissant pas la liberté de circulation et qui fait primer la protection de frontières européennes  au détriment des intérêts des migrants, ce qui a entraîné plusieurs tragédies et catastrophes humanitaires et engendré des milliers de victimes et de disparus. Sans oublier les grandes difficultés que rencontrent les Tunisiens pour l'obtention d'un visa et la sélectivité dont font preuve les États membres », a-t-il précisé. Il a souligné que « l'accord, malgré ce qu'il a intégré d'éléments et de signaux impliquant une politique de développement visant à réduire le phénomène de disparités entre les régions ainsi que le chômage, demeure insuffisant et déséquilibré », soutenant que « la société civile, si elle est impliquée activement, est en mesure de modifier ces accords et de parvenir ainsi à une vision unifiée et convergente sur de nombreux points, surtout que le pays s'apprête à discuter un grand nombre d'accords importants où la vision de la société civile et ses propositions sont nécessaires, tels que l'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA)dont les négociations démarreront en juin 2015. »

Pour sa part, Lilia Rebai, coordinatrice du projet de mobilisation de la société civile dans le suivi des relations entre la Tunisie et l'Union Européenne, a déclaré que « la société civile a joué un rôle important dans le processus de transition démocratique, faisant preuve d’un grand patriotisme, d’un important sens des responsabilités et d’une forte capacité  de proposition qui lui ont permis  de contribuer à sauver le pays du chaos. A ce titre, la société civile  doit poursuivre sur cette lancée et renforcer ses capacités sur  toutes les questions qui touchent à l’affaire publique. Le REMDH  a donc initié le projet de dialogue tripartite entre le Gouvernement Tunisien, l'Union Européenne et la société civile tunisienne afin de mieux concevoir les politiques dont les effets se répercuteront sur toute la région  »La coordinatrice de projet  a souligné que « l'idée était de permettre à la société civile de suivre la coopération entre les deux parties autour des thématiques importantes susmentionnées, de formuler des propositions et des recommandations tant  au Gouvernement tunisien qu’à l'Union Européenne et d’œuvrer afin que ces dernières soient prises en compte. » Parmi ces recommandations, Rebai insisté sur les suivantes :

- La prise en compte, lors de la révision de la Politique Européenne de Voisinage (PEV), actuellement en préparation, des besoins spécifiques de la Tunisie et l’assurance que la PEV soit fondée sur le respect des droits de l’Homme en privilégiant les intérêts communs.

- La mise en place  d'un cadre de coopération entre la Tunisie et l'Union Européenne garantissant le respect des droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile, et l’adoption  d'un accord commun garantissant la mobilité des migrants et des réfugiés, en plus de faciliter les procédures d'obtention de visa pour tous les tunisiens - en attendant la suppression pure et simple de ce dernier– et en atténuant la sélectivité des tris des dossiers dont il est fait usage, ce qui diminuerait  l'immigration irrégulière  .

- L'application des dispositions de la Constitution et des conventions internationales ratifiées par la Tunisie dans le domaine des droits de l'Homme, la modification de la loi sur la justice transitionnelle, la mise en place des instances constitutionnelles en adéquation avec la Constitution de 2014, et la garantie de la justice locale à travers la décentralisation de la justice administrative et la réforme de la carte judiciaire.

- L’adoption de la loi intégrale contre les violences faites aux femmes et aux filles, et la ratification des conventions sur les droits économiques et sociaux des femmes pour assurer l'égalité des chances et réduire le chômage chez les femmes, en tenant compte des questions de genre dans l'élaboration de lois, du budget de l'État et des plans de développement.

-L’orientation des relations économiques entre la Tunisie et l’UE vers une perspective stratégique qui aide à relever les principaux défis qui se posent actuellement à la Tunisie, notamment ceux de la sécurité alimentaire, de l’autonomie énergétique et de la gestion de l’eau. Appuyer dans ce sens, la coopération technique et scientifique dans le domaine des énergies renouvelables et de l’économie sociale et solidaire.

Le  directeur du bureau Maghreb du REMDH a ajouté que « le réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme continuera, à travers ce projet, d’avancer sur la voie qu'il s'est tracée surtout en matière de soutien du rôle de la société civile dans le cadre des relations tuniso-européennes.

La société civile observera et suivra tous les accords et ce qu'ils contiennent d'aspects négatifs pouvant toucher aux droits de l'Homme dans tous les domaines. » Il a ajouté qu' « à travers toutes les étapes du projet, les réunions tenues avec succès entre différentes acteurs  et leurs débats sérieux à caractère politique et technique, ont  ouvert, malgré quelques difficultés, de nouveaux horizons et des traditions innovantes en matière de dialogue et de nécessité de faire participer la société civile dans toutes les grandes étapes et décisions du pays ».
Communiqué