"Les avantages incertains de l’ALECA pour la Tunisie" (Analyse FTDES)

Publié le Vendredi 20 Avril 2018 à 11:15
En ce mois d’avril 2018, deux négociations fondamentales pour la Tunisie vont être menées entre des représentants de la Tunisie et de l’Union Européenne (UE). La semaine du 17 avril, les négociations se tiendront sur la réadmission de migrants et la facilitation des demandes de visas pour une petite partie des Tunisiennes et Tunisiens, soulignent, Marco Jonville (Volontaire “ALECA et justice environnementale” ), et Valentin Bonnefoy, chargé de mission “Initiative pour une Justice Migratoire (IJM)”, dans une analyse intitulée Négociations UE-Tunisie : Libérer les échanges sans échanger les libertés ?, publiée sur le site du FTDES.

Tandis que durant la semaine du 23 avril, les discussions vont traiter des conditions du commerce entre la Tunisie et l’Union Européenne avec pour finalité la signature de l’ALECA (Accord de Libre-Echange Complet et Approfondi).
 
Menées à une semaine d’intervalle, les deux thématiques de la circulation des personnes et de l’augmentation de la libéralisation des échanges ont été liées à la suite d’une demande tunisienne : la crainte était que soit favorisée la circulation des biens, des flux financiers et des services, en dépit de la circulation des personnes.

Ces négociations engagent la Tunisie pour les décennies à venir. Elles pourraient changer la structuration économique et sociale du pays. L’accord d’association de 1995, qui a ouvert le secteur industriel à la concurrence, est critiqué pour ses conséquences, qui perdurent jusqu’à aujourd’hui [1]. Pour cerner les stratégies en jeu dans ces négociations, nous analysons ici quels sont les objectifs pour l’Union Européenne dans ces tractations, ce qu’elle espère y gagner et comment est-ce qu’elle envisage de négocier. Il s’agit dès à présent d’anticiper les résultats et les conséquences de ces négociations sur le long terme, pour ne pas subir des répercutions non désirées dans le futur.

Avec l’ALECA, l’UE propose à la Tunisie de signer un traité international pour ouvrir encore davantage son économie : pour les biens, les services et les capitaux. Cette ouverture concernerait tous les secteurs de l’économie, y compris l’agriculture. Elle mettrait un terme aux droits de douane, et demanderait à la Tunisie d’adopter les normes de l’UE pour que son économie entre en pleine concurrence avec les économies européennes.

Sous différents aspects, le projet d’ALECA fait craindre des risques pour les citoyens tunisiens en termes de droits économiques et sociaux. En particulier, de nombreux emplois risquent de disparaitre dans les secteurs de l’agriculture et des services. De même, la mise en concurrence du secteur agricole pourrait menacer la sécurité alimentaire, en accentuant la dépendance à l’importation pour les céréales, qui sont la base de l’alimentation tunisienne.

L’impact social se fera aussi sentir de manière moins directe. La perte de ressources budgétaires de l’Etat (liés à la baisse des droits de douane), se traduira soit par moins de dépenses sociales et de développement, soit par des hausses d’impôts. De plus, si aucun dispositif n’est prévu, les investissements risquent de se concentrer dans le nord-est du pays et ne pas améliorer les inégalités sociales et territoriales.

Enfin, le bien-être et la santé même des citoyens sont menacés. Les mesures de propriété intellectuelle incluses dans le projet pourraient restreindre l’accès aux médicaments. Il est aussi probable que le projet prévoie une juridiction spéciale pour les investisseurs comme les tribunaux d’arbitrage. C’est-à-dire qu’ils auraient la possibilité d’attaquer directement l’Etat tunisien s’ils considèrent qu’une loi ou une mesure menace leurs investissements. Ainsi des mesures de protection de l’environnement ou de santé publique, par exemple, peuvent être arrêtées ou ne pas être mises en application.

En contrepartie de l’ouverture tunisienne, l’UE promet un développement de l’économie, à travers un meilleur accès au marché européen, des normes reconnues internationalement, et plus d’investissement en Tunisie. Cependant, si nous regardons l’Accord d’Association de 1995, qui a mis en compétition l’industrie tunisienne et européenne, nous constatons que, 20 ans après, l’industrie tunisienne est en grande difficulté. Le secteur porteur en Tunisie étant celui des services, faire brutalement disparaître les protections de l’Etat vis-à-vis de ce secteur pourrait l’endommager fortement, en ayant des incidences négatives sur les emplois. Même si cela se fait progressivement, la mise en concurrence inquiète donc tant les organisations de la société civile que les syndicats, et même le patronat. Il faut dire que la compétitivité de l’économie tunisienne est bien inférieure à celle de l’économie européenne. Dans le secteur agricole, elle l’est même 7 fois moins.

Deux autres éléments reflètent cette inégalité entre les deux parties. D’abord, l’UE propose que la Tunisie adopte des normes et standards européens dans différents domaines. Toutefois, ce changement de normes aura un coût, qui devra être porté uniquement par la Tunisie, quand les entreprises européennes n’auront pas d’effort particulier à faire. Et ces normes, pensées pour l’Europe, ne sont pas nécessairement adaptées à la Tunisie. D’autre part, le projet d’ALECA permettrait à des fournisseurs de service ou des investisseurs de venir directement en Tunisie librement, alors que les Tunisiens doivent systématiquement passer par une procédure de demande de visa. Or, dans sa stratégie commerciale de 2015, « Le Commerce pour Tous », la Commission Européenne affirme que « pour s’engager dans le commerce international des services, les entreprises doivent établir des marchés à l’étranger afin de desservir les nouveaux clients locaux. » Cela signifie qu’il est très important pour les Européens que leurs fournisseurs de services puissent venir et s’installer dans d’autres pays. En revanche, il n’est pas possible pour les fournisseurs de services Tunisiens de se déplacer en Europe sans passer par des procédures de demande de visas à l’issue incertaine.

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