La réforme ne peut aller au-delà de la substance de l’Islam (Hichem Djaït)

Publié le Lundi 02 Mars 2015 à 12:17
Hichem Djaït. "Le concept de l’Islam est très large, celui du terrorisme est récent, ayant commencé vers la fin du 19ème siècle. L’Islam est une religion ancienne et diversifiée, qui repose sur un noyau dur, celui de l’unicité", a souligné le penseur et historien, Hichem Djaït, dans une récente interview au journal Le Maghreb.

"L’Islam est parmi les grandes religions, non seulement de part le nombre de ses adeptes, mais étant un univers de civilisation, de grande culture, de législations, et de perception métaphysique du concept de la divinité. L’Islam a joué un grand rôle dans la morale, et dans l’éducation de l’Humanité, voire d’une grande partie d’entre elle. On ne peut dire qu’il y a un lien entre cette grande religion, et ce que l’on appelle le terrorisme, qui est un concept vague. Le terrorisme n’a pas de rapport, à mon sens, avec la substance de l’Islam, notamment dans ce qu’on voit aujourd’hui. Le terrorisme est autre chose, totalement irrationnelle, ce n’est pas une guerre pour la religion, ou sa diffusion, l’ultime objectif de ces organisations terroristes étant de s’emparer du pouvoir," souligne-t-il.

Au sujet du Djihad, Djaït explique que le Jihad est peu évoqué dans le coran. "Le djihad dans le coran est un effort guerrier, financier ou autre, pour enraciner la nouvelle religion musulmane dans un milieu empreint d’associationnisme (shirk).

Le prophète a voulu élever le niveau des arabes, afin de les conduire vers une religion plus élevée que leur ancienne religion qui puise ses racines dans la réalité préhistorique", a-t-il relaté (...).

"Pour revenir à l’idée de réforme, de grands mouvements de réforme sont apparus au 19ème siècle, conduits par al-Afghani, Mohamed Abdou, et même Abdelawaheb dans la péninsule arabique, y compris chez les chiites. Il y a eu des réformes et des tentatives de réformes, mais cette réforme ne peut aller au-delà de ce qu’est la substance de la religion".

Que l’on dise on change la religion à cause de Daech, cela n’a aucun sens, à ses yeux.

"Ce qui se passe aujourd’hui est un conflit entre des organisations d’un côté et des Etats en place et la communauté internationale de l’autre. Je ne pense pas que ces conflits sont si importants au point de requérir la réforme la religion. Qu’est-ce que signifie la réforme de la religion ? Cela veut dire introduire certains changements, peut-être des changements que les gens n’acceptent pas, car les changements ne peuvent être parachutés, mais sont le produit d’une évolution. L’évolution actuelle dans le monde entier est l’éloignement de la religion. Des pays occidentaux à l’instar des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine, tous ces grands pays se sont éloignés de la religion. La réalité est que les grandes religions se dégradent", estime-t-il.

"Dans les pays dits avancés, la religion n’entre pas dans la dynamique politique" (…).

"La modernité a introduit beaucoup de changements dans la civilisation humaine, et s’est écartée de la religion, cette modernité va se poursuive malgré les réactions, a fortiori que l’on a le sentiment dans le monde musulman d’avoir eu par le passé une grande civilisation pendant dix siècles jusqu’à la chute de l’empire ottoman, et même après le Moyen-âge, entre le 16ème et le 19ème siècle, il y avait trois Etats islamiques, puissants et influents, soit l’Etat ottoman, l’Etat Mongol et l’Etat safavide. Mais, à partir du 18 et 19ème siècle, cette civilisation a connu un grand affaiblissement, et du jour au lendemain, notre destin était entre les mains des pays européens".    

"Dès lors, de nombreuses générations ont connu une espèce de choc, et se sont défendues par différents moyens, à travers des réformes religieuses, des mouvements nationaux", analyse-t-il.

"La présence de la violence dans le monde musulman pourrait avoir pour origine que certains éléments aient considéré que tout ce qui est réforme et évolution sont inutiles, mais ce qui est utile (dans leur conception) c’est la violence", perçoit l’historien.

Selon son analyse, il y a une forte dialectique dans l’histoire, il y a eu une réforme de l’Islam.

"Dans plusieurs pays, il y a un islam modéré. Même si l’on ressuscite l’esprit islamique comme cela s’est produit en Turquie -un islam modéré y prévaut, et il n’y a pas de grande violence. Si l’on observe des pays, comme la Tunisie, il y a effectivement une violence, mais elle n’est pas dominante, comme cela se passe en Syrie et en Irak", indique-t-il.

"Lorsque ce séisme se serait calmé, cela peut prendre un certain temps, on va emprunter le cours des autres pays, et s’écarter de la violence. Cela pourrait prendre 20 ans, selon ses pronostics". Hichem Djaït laisse supposer qu’à l’avenir, il n’y aura pas d’Islam politique, car la religion n’entre pas, dans la plupart des valeurs humaines, dans les rouages politiques.

Gnet