HRW appelle à l’abrogation du décret de 1978 sur l’état d’urgence

Publié le Mardi 18 Octobre 2016 à 16:49
La Constitution prévoit la création d'une Cour constitutionnelle chargée de statuer sur la constitutionnalité des lois et qui sera apte à invalider les lois qui ne seraient pas conformes aux normes relatives aux droits humains stipulées dans la Constitution. Le 3 décembre 2015, le Parlement a adopté la loi organique n° 50 instaurant la Cour constitutionnelle, mais à ce jour, celle-ci doit encore être mise en place et ses membres désignés, indique Human Rights Watch (HRW) dans son dernier rapport sur la Tunisie, dont Gnet a reçu ce mardi 18 octobre une copie. En voici quelques extraits :

Ce rapport élaboré dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU), appelle à accélérer la refonte des lois tunisiennes non conformes à la Constitution et aux normes internationales relatives aux droits humains. En particulier, abroger le décret présidentiel de 1978 sur l’état d’urgence ne respectant pas les conditions de l’article 4 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, et à garantir une mise en place rapide de la Cour constitutionnelle, qui jouera un rôle essentiel dans la garantie du respect des droits humains en annulant les lois non conformes au cadre constitutionnel sur les droits et les libertés et lui donner tous les moyens pour qu’elle puisse réaliser son travail en toute indépendance des branches exécutive et législative.

Les autorités transitoires ont libéralisé le code de la presse et les lois relatives aux moyens de diffusion, en éliminant la plupart des sanctions pénales que ces lois imposaient contre les délits de presse. Néanmoins, le Code pénal, le Code de justice militaire et la Loi sur les télécommunications comportent toujours des clauses imposant des peines de prison pour sanctionner les propos diffamatoires. L’État a eu recours à ces articles, liés principalement à la diffamation des individus et des institutions publiques, et à des délits vaguement définis tels que la nuisance à l’ordre public et aux mœurs publiques, pour poursuivre en justice et emprisonner au moins 17 personnes au cours de la période de transition, entre 2011 et 2014. Un nouveau projet de loi sur la « répression des attaques contre les formes armées » pourrait, s’il est adopté, représenter une menace encore plus grande à la liberté d’expression en incriminant le « dénigrement des forces armées ». Bien qu’il ait accepté des recommandations indiquant le contraire, le gouvernement a approuvé ce projet de loi le 10 avril 2015 et l’a envoyé au Parlement qui n'a pas encore fixé de date pour débattre du texte. L’une des recommandations notables acceptées par le gouvernement tunisien en 2012 était de « prendre des mesures pour faire en sorte que la législation nationale, notamment les lois ayant une incidence sur l’exercice de la liberté d’expression et de réunion, soit pleinement compatible avec les engagements internationaux relatifs aux droits de l’homme de la Tunisie. »
 
Malgré ces promesses faites lors de l’EPU, un article du Code pénal incriminant les « insultes à l’égard d’un fonctionnaire » a été utilisé dans la pratique afin que la police puisse arrêter des individus, dont certains ont été poursuivis en justice et emprisonnés, simplement parce qu’ils se sont disputés avec la police ou ont mis du temps à suivre des ordres, ou parce qu’ils ont déposé plainte ou étaient soupçonnés de vouloir déposer plainte contre la police.

HRW recommande l’élimination par le parlement des dernières lois répressives qui se trouvent encore dans le Code pénal, notamment les articles incriminant la diffamation, l’abandon du projet de loi incriminant le dénigrement des forces armées.

Le gouvernement a adopté le 14 juillet 2015 un projet de loi sur la réconciliation économique et financière, largement soutenu par le président Essebsi. S’il est promulgué, ce texte entraînera la suspension des poursuites et des procès en cours ou futurs des fonctionnaires et hommes d’affaires pour corruption financière ou abus de fonds publics, du moment qu’ils négocient un accord de « réconciliation » avec une commission contrôlée par l’État afin de rembourser l’argent obtenu illégalement à la trésorerie publique. Cette loi annulerait les condamnations ou suspendrait les poursuites à l’encontre des hommes et femmes d’affaires ou des agents du gouvernement ayant bénéficié personnellement de corruption financière ou de détournement tant qu’ils trouvent un accord de « réconciliation » avec une commission dirigée par l’État afin de rembourser l’argent obtenu illégalement à la trésorerie publique.

Le 29 juin 2016, la commission de législation générale du Parlement a ouvert le débat sur le texte. En Tunisie comme ailleurs, corruption et violations des droits humains vont de pair. Selon le rapport de 2012 de la Commission nationale chargée d’enquêter sur la corruption et le détournement de fonds, la famille et les proches de Ben Ali ont détourné des fonds et des terrains publics à leur profit en instrumentalisant les institutions de l’État comme les banques publiques, le système judiciaire et la police pour s’octroyer des avantages et punir ceux qui résistaient à leurs initiatives dans le secteur des affaires.

HRW appelle à retirer le projet de loi de réconciliation économique et financière de toute discussion parlementaire, à offrir un soutien complet au travail de l’Instance vérité et dignité chargée de s’assurer que les victimes exercent leur droit à la vérité, à la justice et obtiennent réparation pour les abus dont ils ont souffert, à veiller à ce que les auteurs des graves violations des droits humains commises au cours des 23 années du règne de Ben Ali rendent des comptes. En particulier, les autorités devraient s’assurer qu’un système de justice pénale civile indépendant et efficace soit mis en place pour enquêter sur les allégations de torture de suspects interrogés par la police et pour faire rendre des comptes aux auteurs de ces crimes, conformément aux obligations de la Tunisie en vertu de la Convention contre la torture. 

L’ONG recommande aussi  d’Offrir un soutien complet au travail et au fonctionnement des chambres spécialisées, de donner à l’Instance vérité et dignité un accès total à l’ensemble des archives de l’État afin de faciliter le recensement des violations des droits humains et la recherche des auteurs, de modifier la loi de lutte contre le terrorisme afin de définir clairement les actes de terrorisme conformément aux normes internationales et s’assurer que toutes les personnes détenues dans des affaires de terrorisme soient inculpées rapidement en vertu des normes internationales, de procéder aux modifications législatives nécessaires pour garantir que chaque personne en garde à vue bénéficie de toutes les mesures de protection légales fondamentales, y compris dans des cas liés au terrorisme, notamment l’accès à un avocat dès le début de la détention initiale, et de s’assurer que les mesures prises sous l’état d’urgence ne soient pas arbitraires, qu’elles soient strictement nécessaires pour les exigences de la situation et qu’elles prennent fin dès qu’elles ne le sont plus, et qu’elles soient réalisées en vertu de l’état de droit et offrent à la personne concernée l’accès à une étude réelle de toute décision restreignant ses libertés, notamment le droit à un contrôle judiciaire de toute forme de détention.
D'après Communiqué