Des journalistes du Monde parlent des médias en Tunisie (Reprise)

Publié le Mardi 17 Septembre 2013 à 10:51
A l’occasion de la grève générale des médias, la deuxième observée en Tunisie par la profession depuis le 14 janvier, Gnet vous propose quelques extraits d’interviews qu’elle a conduites en mai 2012 avec des journalistes réputés du quotidien français "Le Monde". Sylvie Kauffmann, Florence Beaugé  et Florence Aubenas nous ont parlé des rapports entre médias et pouvoir politique, commentant au passage la situation en Tunisie. Des propos toujours d’actualité, et qui incitent à la réflexion en vue d’une presse indépendante, libre et respectueuse de la déontologie en Tunisie.

Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale au Monde
(Interview parue mercredi 02 Mai 2012 sur Gnet)
Rapports politiques/médias : "Cela dépend du pouvoir. On dit souvent qu'il est plus simple pour un journal d'être dans l'opposition. Je suis assez d'accord avec ça, nos rapports avec Nicolas Sarkozy pendant son premier mandat n'étaient pas très chaleureux. Ce n'était pas facile non plus avec Mitterrand, on n’écrivait pas souvent ce qu'il lui plaisait. C'est ça la force d'un pays démocratique, on peut être en opposition avec le pouvoir, ça n'a pas de conséquences, ça peut avoir des conséquences sur le nombre d'interviews qu'on aura. Sarkoyz ne nous a pas donné beaucoup d'interviews, Chirac non plus. Ce n'est pas pour autant que l'on se sent boycotté, ce n'est pas grave".

Sur les rapports tendus entre le pouvoir politique et la presse en Tunisie, elle souligne : "Je pense que c'est inévitable quand les médias ont été à ce point bâillonnés, que le jeu démocratique ne s'installe pas du jour au lendemain. Il faut que les journalistes réapprennent leur travail, celui de faire simplement de l'information et de l'enquête, et pas seulement du commentaire et du militantisme. Car, la tentation est très forte de faire ce type de journalisme.

Il faut que les politiques apprennent à gouverner avec des médias qui font leur travail. Je pense que ça prend du temps, c'est difficile mais c'est aussi important que d'organiser des élections libres. Si les médias ne peuvent pas travailler, les élections ne sont pas libres. Il faut que tout le monde apprenne à vivre ensemble. On dit qu'il faut former les médias, mais il faut aussi former les gouvernants. Ces derniers ne pensent jamais qu'ils ont besoin d'être formés. Il ne faut pas que les médias se sentent la cible de représailles, quand ils font simplement leur travail. Il faut que les politiques acceptent la critique, si elle est faite d'une manière déontologique et professionnelle.

Le journaliste n'est pas au dessus de la critique, il faut apprendre à vivre avec. On ne fait pas ce métier pour être aimé, ça prend du temps pour gagner le respect des lecteurs, des auditeurs et des gouvernants. On n'a pas  besoin d'être populaires, mais il faut que l'on soit respecté. Si un responsable politique vous respecte, il vous donnera une interview une autre fois. Quand on est professionnel, on gagne le respect et la confiance des lecteurs. Ces derniers savent faire la différence assez vite ; ils savent quel journaliste respecter ou non".

Florence Beaugé, journaliste au service Economie/International
(Entretien paru le vendredi 04 mai 2012 sur Gnet)
Rapports entre politiques et médias. "J'ai beaucoup côtoyé les hommes politiques, dans la mesure où j'ai accompagné pendant ces dix dernières années les Présidents Sarkozy et Chirac dans leurs déplacements au Maghreb. J'ai accompagné des ministres des Affaires étrangères, mais aussi d'autres ministres. Les rapports ne sont pas faciles, c'est toujours un exercice qui doit rester professionnel, qui implique d'avoir un bon contact avec l'interlocuteur pour avoir des informations.

La question de la confiance est primordiale, respecter le Off. Si on vous donne une information en Off, il faut être capable de la garder, et ne pas faire la politique de la terre brûlée, et céder à la tentation du scoop. A moins que ça soit, après avoir su peser les choses, un devoir journalistique. Il faut établir avec nos interlocuteurs politiques ou simples citoyens, des relations de confiance sur le long terme, pour que notre interlocuteur sache qu'on ne va pas le piéger, et qu'il peut se laisser aller".

A propos de la Tunisie. "Je pense que dans un pays neuf, la Tunisie est neuve du côté des journalistes, et du côté politique, c'est inévitable qu'il y ait cette phase de tâtonnements et d'incompréhension réciproque. Ça va se normaliser, il y aura une phase difficile où chacun va faire l'apprentissage de son métier. Les politiques même en France ont tendance à estimer qu'on est là pour relayer leurs points de vue, «leur bonne parole». C'est à nous les journalistes de toujours creuser qu'est-ce qu'il y a derrière cette « bonne parole ». En Tunisie, personne n'est habitué à cela, il y a un curseur à mettre à la bonne place, chacun le cherche.
Les journalistes ne peuvent pas admettre une autre attitude de la part des politiques. En revanche, les journalistes se doivent d'avoir une attitude professionnelle, si possible exemplaire. Leur responsabilité est encore plus lourde, parce que pour eux se pose vraiment la question de l'éthique journalistique, c'est à dire le fait de creuser l'information, la recouper, la vérifier encore et toujours et la restituer de la façon la plus honnête possible, ça demande un travail fou. Il faut savoir qu'il n'y a pas de bon journalisme, sans un travail considérable. Cela demande du temps et des moyens et nos patrons de presse ne doivent pas l'oublier."

Florence Aubenas, Grand Reporter au Monde (Entretien paru le vendredi 04 mai sur Gnet
)
Rapports entre politique et journalistes. "Chacun dans son rôle, il ne faut pas s'emmêler les pinceaux sur les relations entre les deux parties. Moins on se fréquente, mieux on se porte. Il faut garder un petit moins de confidence, et un peu plus de confiance".

Situation en Tunisie. "Je connaissais la situation avec Ben Ali à l'époque, c'était une caricature.  Maintenant, à partir du moment où on se critique mutuellement (NDLR : journalistes et politiques), c'est un pas vers quelque chose de mieux. Les frontières sont en train de se dessiner. Les politiques, c'est dans leur rôle « de faire la gueule », c'est normal, c'est un classique. Si on arrête de se disputer, si tout le monde dit que c'est formidable, cela s'appelle du Ben Ali. Il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin, il faut se disputer sur les choses graves et sérieuses".
Gnet


 

Commentaires 

 
-1 #1 RE: Des journalistes du Monde parlent des médias en Tunisie (Reprise)
Ecrit par sportif     17-09-2013 12:18
je pense que la colonisation francaise ... aucun ne la souhaite revenir....
 
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